Que voter ?

Que voter quand on se sait hors-jeu ?

Il y a fort à parier que beaucoup de catholiques qui auront voté blanc le 24 avril l’auront fait à cause du silence assourdissant de la campagne électorale sur des thèmes dont ils admettent difficilement qu’on puisse les considérer comme insignifiants (https://www.genethique.org/cette-gparbre-qui-cache-la-foret/).

Au moment où l’on déplore avec une émotion légitime les milliers de morts en Ukraine, ces électeurs-là n’admettent pas que l’on traite comme quantité négligeable les 73 millions d’êtres humains qui sont, d’après les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé, éliminés chaque année avant leur naissance. On peut y ajouter l’effet collatéral des procréations techniquement assistées qui, bien qu’elles ne recourent plus guère au tri des embryons surnuméraires, échouent à plus de 70 %.

Comment ces électeurs ne jugeraient-ils pas hypocrite que d’un côté l’on présente l’interruption volontaire de la vie intra-utérine comme une épreuve dramatique pour une mère, et que de l’autre on encourage toujours plus sa pratique ? Non seulement son délai légal a été rallongé, mais c’est désormais un délit que d’exprimer publiquement une volonté de se mettre au service des femmes qui demandent de l’aide : ce serait pourtant le seul moyen de leur offrir une véritable liberté de ne pas éliminer leur enfant, et non pas seulement une autorisation à le faire qui pare du nom de droit ce qui ne va jamais sans un déni d’humanité.

Comment ne pas juger hypocrite d’affirmer qu’il ne revient pas à une assemblée parlementaire de se prononcer sur le statut d’un être humainement procréé, et, en même temps, de faire constamment comme si elle avait le droit de lui dénier l’humanité avant une date arbitrairement choisie ?

Comment ne pas juger hypocrite l’annonce d’une consultation des citoyens au sujet de la fin de vie, quand les conclusions des « états généraux de la bioéthique » ont été enterrées parce qu’elles allaient quelque peu dans le sens des positions catholiques, et surtout à l’encontre de celles du pouvoir en place ?

La chose n’était d’ailleurs pas très étonnante, car les positions que des catholiques se trouvent défendre ne sont pas liées à leur foi propre, mais à la fondation des droits personnels sur la commune humanité de leurs sujets : aussi ne manque-t-il pas d’athées pour les soutenir. Comment sommerait-on les catholiques d’accorder leur suffrage quand on n’a de cesse de les faire taire, lorsqu’ils défendent rationnellement des conceptions qui n’ont rien à voir avec leur foi, et tout avec l’humanité des hommes ?

Comment ne voteraient-ils pas blanc, ces catholiques qui se sentent d’autant plus mis hors-jeu que leurs propres organes de presse leur rappellent jour après jour à quel point ils continuent de devenir minoritaires ? Il n’est pas incohérent d’accepter d’être tenu pour quantité négligeable, et de revendiquer pour autant le droit d’exprimer cette acceptation par son vote. On n’a plus, autrement, qu’à hurler avec les loups, si par ailleurs on ne veut pas accorder son suffrage à un nationalisme qu’on a quelque raison, outre sa condamnation déjà ancienne par le magistère romain, de considérer dans sa forme actuelle comme une impasse, avec un programme qui ne manquerait pas de ruiner ceux qu’il prétend défendre.

« Si ceux-là se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40). Beaucoup s’époumonent aujourd’hui pour faire entendre à cor et à cri à leurs congénères et concitoyens le gémissement d’une nature devenue la proie des démesures humaines. Que ne font-ils entendre celui des petits d’homme encore à naître, qui ne sont pas en mesure d’élever la voix pour faire valoir les droits que leur humanité devrait leur faire reconnaître !

Michel NODÉ-LANGLOIS

Le 23 avril 2022