Culture générale - IEP Toulouse

Session 1998

Sujets : Majorité fait-elle loi ? – La responsabilité peut-elle être collective ?

     Les défauts majeurs dans le traitement du premier sujet ont été le manque de rigueur dans l’analyse et la compréhension de la notion de majorité, mais plus encore l’absence totale de réflexion sur la notion de loi.

     Même si le sens courant d’une expression est souvent aléatoire, il y a toujours intérêt, pour raisonner de façon concluante, à lui donner une précision conceptuelle suffisante. « Faire loi » peut assurément signifier : imposer son pouvoir. Mais ceux qui avaient lu Rousseau savaient qu’on ne saurait parler, si ce n’est ironiquement, d’un droit du plus fort, et qu’un simple pouvoir de fait ne saurait constituer par lui-même un pouvoir de droit qui oblige en conscience. Le problème n’apparaissait dès lors que si la loi était prise en son sens propre, et non pas en un sens à la fois vague et métaphorique. Dans sa définition, la loi est une règle commune, comme telle principe d’une obligation, ou, si l’on veut, d’un devoir qui s’impose à une personne libre, capable de décision morale. Le concept de loi implique donc les deux caractères que sont l’universalité de la règle et la nécessité de l’impératif, sans lesquels la personne dotée de raison ne pourrait s’estimer tenue à l’obéissance : car le devoir, subjectivement considéré, n’est rien d’autre que la conscience de la nécessité de l’action commandée, ou du bien-fondé de la règle qui la commande.

     Ces précisions élémentaires devaient permettre non seulement d’écarter comme impertinente l’acception de la majorité au sens de l’âge légal d’accession aux droits civiques, mais aussi d’éviter de limiter l’interrogation à la question de savoir si la majorité, entendue comme supériorité numérique, donne un pouvoir. Faute de quoi on était confiné dans l’ordre des questions de fait, et l’on ne pouvait échapper à la platitude – l’éventuelle originalité des exemples n’y change rien – des réponses à la Fernand Raynaud : ça dépend… si on est en démocratie ou pas. La question était bien plutôt de savoir si le consentement à l’opinion majoritaire peut valoir mieux qu’un conformisme et être le principe de la légitimité reconnue à un pouvoir, ou, plus profondément, du caractère impératif d’une loi, un pouvoir légitime n’étant après tout rien d’autre sinon celui qu’une loi avalise.

     On était dès lors amené à s’interroger de façon critique sur les titres que peut invoquer une majorité à dicter la règle du juste et de l’injuste dans une communauté politique donnée, ou, dans les termes de Rousseau, souvent cité mais imparfaitement compris, la capacité de l’opinion majoritaire – qui selon Rousseau est toujours une opinion « moyenne » – à exprimer la « volonté générale ». La majorité n’ayant de soi qu’une signification quantitative, on faisait valoir que la soumission à la volonté majoritaire pouvait apparaître comme une forme de la loi du plus fort, de cette « tyrannie de la majorité » analysée et dénoncée par Tocqueville. Une opinion pouvant être erronée, on arguait que le nombre de ceux qui la partagent n’est pas un gage de rationalité. On invoquait des exemples historiques, qui même ressassés n’en sont pas moins vrais, d’effets pervers de la légitimité majoritaire. On se référait à bon droit à la pensée de Platon – auquel toutefois certaines copies attribuent étrangement une conception démocratique de l’État.

     Certains se bornaient à conclure loyalement que le sujet leur semblait mettre en question les fondements même de notre système politique. D’autres se demandaient quelle justification donner du principe majoritaire, si la majorité ne confère décidément aucune autorité. Ils la trouvaient dans l’exigence de paix civile et de cohésion sociale, par le moyen du compromis négocié, ce qui oblige à prendre en considération le statut et les droits de la ou des minorités. Peu cherchèrent à distinguer à cet égard la majorité de fait du plus grand nombre – celle par exemple de l’opinion publique traduite par les sondages – et la majorité en tant que recours institutionnellement organisé pour donner leur légitimité aux décisions législatives, sur la base d’un principe communément accepté plutôt que tyranniquement imposé. Plus rares encore furent ceux qui s’interrogèrent résolument sur le fondement de la justice des lois, et sur l’articulation entre le droit naturel et le droit positif.

 

     On pouvait à bon droit apercevoir un lien ou une passerelle entre les deux sujets. Certains ont ainsi présenté le suffrage démocratique comme une tentative pour collectiviser la responsabilité législative. C’était en effet une bonne voie d’analyse pour construire une notion de responsabilité collective en l’articulant dialectiquement à la responsabilité personnelle – dialectiquement, c'est-à-dire en montrant quelles modifications voire quelles tensions cette articulation impose au concept de responsabilité.

     L’exigence première était assurément ici encore de définir ce dernier. La logique de la question posée veut qu’on l’aborde comme un caractère de la personne pour se demander si et en quel sens on peut l’étendre à une collectivité. Être responsable, c’est d’une part être, comme dit Aristote, le « principe », soit la cause de ses actions, pour autant qu’on les détermine librement par un choix volontaire ; et c’est d’autre part pouvoir, comme on dit, répondre de ces mêmes actions, c'est-à-dire à la fois assurer de leur exécution, et exposer, éventuellement devant un tribunal, les raisons qui en ont fait décider. La responsabilité n’est ainsi qu’un autre nom de la conscience morale, qui qualifie essentiellement un agent libre, auquel on peut imputer ses actions pour autant qu’il en est l’auteur volontaire – imputabilité qu’il ne faut pas confondre avec la culpabilité.

       La question est alors de savoir en quel sens une collectivité peut répondre des effets qu’elle produit. Encore ne peut-il s’agir que des effets résultant de conduites volontaires, car ni la collectivité ni ses membres ne peuvent être tenus pour responsables de l’exhalaison de gaz carbonique à chacune de leurs expirations. En revanche, chacun est comme les autres responsable des effets polluants de son véhicule individuel, et indirectement de ceux des usines qui ont servi à le fabriquer pour lui. De même, des citoyens peuvent difficilement  se défausser de toute responsabilité dans les méfaits à l’échelle planétaire d’un chef qu’ils ont élu. Synchroniquement autant que diachroniquement, l’histoire humaine est ainsi faite d’effets d’ensemble des conduites volontaires. Et la responsabilité collective dont il peut être question ici n’est pas une simple somme de volontés individuelles : elle réside plutôt dans la convergence de leurs intentions, convergence qui peut être une complicité. On fait valoir par exemple – prêtant au mal une attention un peu obsessionnelle à laquelle on échappe rarement – que la prostitution des enfants, à la différence d’un viol de rencontre, a pour causes la misère de certaines populations, l’inertie des gouvernements, la propagande des agences de tourisme sexuel, autant que les vices de leurs clients, et aussi la passivité des populations à qui leur prospérité permet d’être moins touchées par le phénomène. On en dira autant des génocides.

     On objectera qu’une telle responsabilité collective est paradoxale. Même si l’imputation d’une responsabilité personnelle est toujours délicate pour un juge humain, il n’y a aucune difficulté à demander à une personne de s’expliquer sur sa conduite. Il est en revanche impossible d’attendre d’une collectivité ce qu’on peut exiger d’un individu. Si l’on excepte le cas d’un chef auquel ses subordonnés obéissent, la responsabilité collective porte ainsi sur des effets dont personne ne peut effectivement répondre : ni la collectivité, qui n’a comme telle ni voix ni conscience, ni l’individu, qui ne peut se tenir pour responsable de ce à quoi il ne contribue qu’indirectement, parfois en dépit de ses meilleures intentions. Mais inversement, on se demandera à bon droit si la responsabilité peut ne pas être collective : car il n’est pas de liberté personnelle qui ne s’éveille à elle-même sinon en collectivité, ni qui produise ses effets sans interférer avec la liberté d’autrui. C'est pourquoi chacun peut se tenir pour responsable aussi à quelque égard de la responsabilité des autres. La responsabilité est toujours une co-responsabilité.

    L’essentiel sur le second sujet était d’apercevoir et de montrer en quoi le sujet de la responsabilité est problématique. Les erreurs récurrentes ont ici consisté à identifier la responsabilité avec le pouvoir de ceux qu’on appelle les responsables, ou à confondre la collectivité et la totalité d’une population, comme si le caractère restreint d’un groupe empêchait sa responsabilité d’être collective. Ailleurs on dénonçait une perte du sens des responsabilités imputée au développement de l’individualisme, ce qui n’était pas la question, encore qu’une discussion du collectivisme comme mode de production ou de gestion eût ici sa place.

 

Session 1999

Sujets : La désobéissance – Appartient-il à l'État d’éduquer les citoyens ? –

     Lorsqu'il est demandé s’il appartient à l’État d’éduquer les citoyens, il faut prêter attention, comme en tout sujet, aux termes qui composent l’énoncé de la question, et avant tout à ceux qui paraissent en viser moins l’objet lui-même que l’angle sous lequel il s’agit de l’envisager. En termes de logicien, la conclusion d’un raisonnement consiste à énoncer quelque chose – un prédicat – au sujet d’autre chose – le sujet. Dans la question posée, ce dernier est évidemment l’État : cela n’est pas difficile à apercevoir, mais il est beaucoup plus important de discerner ce qu’on demande ici précisément à son sujet.

     La fin de la question n’interroge pas sur l’État en général mais sur sa fonction éducative à l’égard de ses membres. Des candidats à un Institut d’Études Politiques peuvent se sentir sur le terrain où ils sont attendus en propre dès lors qu’il est question de citoyenneté. Ils feront toutefois preuve de réflexion en se montrant capables de s’affranchir des lieux communs anciens ou récents, en l’occurrence la notion à la mode, et qui n’en a pas moins d’importance pour cela, de « l’éducation à la citoyenneté ». Le sujet n’interroge pas – abstraitement et au singulier – sur l’éducation du citoyen, mais sur celle des citoyens. La méfiance traditionnelle des spécialistes de l’action politique à l’égard de l’abstraction philosophique avait de quoi s’exercer ici : car le pluriel de l’énoncé invitait à considérer non pas seulement l’essence du citoyen en tant que citoyen – la citoyenneté – mais les citoyens dans leur réalité et leur multitude concrète, c'est-à-dire en tant que personnes dont la coexistence est l’objet même de l’organisation et du gouvernement politiques. Le sujet interrogeait dès lors sur l’éducation de ces personnes en tant que telles, et non pas seulement sur leur préparation à la vie civique.

     Une condition première de la réussite d’une copie était alors de se demander en quoi consiste l’éducation. Très peu de candidats ont rappelé que ce que nous dénommons aujourd’hui Éducation Nationale s’appelait autrefois : Instruction Publique. Il n’y a là en soi qu’une indication historique, mais elle est lourde de signification, et pouvait à elle seule alimenter une réflexion aussi actualisée que peut le désirer un candidat à l’I.E.P. : ainsi qu’on l’admet volontiers désormais, il semble que l’on demande à l’école contemporaine sans doute trop, et en tout cas beaucoup plus qu’on ne lui a jamais demandé, dès lors qu’on en attend la transmission d’éléments de la culture autrefois dévolus aux familles, aux associations, voire aux communautés religieuses. Peut-être faut-il d’ailleurs s’expliquer par là la substitution du national au public : si en effet le deuxième terme renvoie proprement à l’État en tant qu’il est constitutif d’un peuple, conformément aussi bien à l’étymologie – populus et publicus ont vraisemblablement la même racine – qu’au Contrat social de Rousseau (Livre I, ch.5), le premier terme connote, lui, l’idée d’une communauté qui a son origine avant tout dans la naissance (natio) sur un territoire, c'est-à-dire une forme d’appartenance naturelle d’abord, plutôt qu’institutionnelle. Sauf à interpréter la substitution, de manière déplacée, comme une résurgence du nationalisme dans l’esprit républicain, on pourra y voir quand même l’indice d’une prise en charge par l’État-nation d’une tâche qu’il ne s’était pas jusque là attribuée, et qu’il jugeait ne pouvoir s’attribuer qu’en se désignant lui-même comme nation plutôt que comme État.

     Il était en tout cas indispensable, et les correcteurs n’ont pas manqué de valoriser résolument les copies des candidats qui s’y sont efforcés, d’analyser la notion d’éducation en la distinguant, sans pour cela les opposer, d’autres notions qui en sont proches, mais que vraisemblablement elle englobe plutôt qu’elle ne s’y réduit. Un recours discret à l’étymologie permettait de montrer dans l’acte d’éduquer (educare) une manière de faire sortir (educere) d’un état de sauvagerie initial, qu’il s’agisse de l’enfance de l’individu ou de celle de l’humanité, et par là même de révéler les virtualités inhérentes à une nature qui a besoin de la culture pour s’accomplir. Telle est l’œuvre de ce que les Grecs dénommaient païdeïa, et que nous appelons culture, ou, d’un point de vue collectif, civilisation (politeïa). Les copies les plus intéressantes étaient dès lors celles qui soulignaient qu’une telle entre­prise dépasse largement l’instruction, qui désigne la transmission des savoirs, pour englober l’inculcation d’un certain nombre de règles et d’habitudes comportementales, nécessaires au perfectionnement personnel et à la vie en société – à commencer par celles de l’hygiène et de la politesse –, ainsi que de ces fins idéales, voire trans­cendantes, que nous appelons les « valeurs » : sans doute attendons-nous plus d’une éducation qu’un élevage ou un dressage, que pourtant elle comporte inévitablement. La plurivocité de la notion, qui fait sa richesse, permet­tait en tout cas d’éviter de réduire le sujet à la question de savoir si un État peut se dispenser d’insérer l’instruc­tion civique dans les programmes scolaires.

     Le sujet n’appelait pas non plus un simple bilan historique des initiatives de l’État en matière de formation scolaire : beaucoup de copies n’ont reçu qu’une note médiocre du fait de leur approche purement factuelle de la question, quelle que soit l’abondance quantitative des connaissances invoquées. La question ne prenait tout son sens et son intérêt que si elle était envisagée comme une question de légitimité dans l’attribution des compétences – de droit et non de simple fait : le verbe appartenir connote en effet, logiquement autant que juridiquement, l’idée de propriété, et la question était de savoir s’il revient en propre à l’État d’éduquer ses membres ; et puisque l’éducation est multiforme, il faut se demander si elle relève en totalité de l’État, ou quelle partie en incombe à celui-ci. Pour échapper ici à l’aléatoire de l’opinion autant qu’à l’arbitraire des partis pris idéologiques, l’unique moyen était de fonder sa réponse sur une analyse de l’essence de l’État, soit de ce qui fait sa nécessité intelligible, ou encore sa légitimité.

     C’est dans cette louable intention que plus d’un candidat a mis en œuvre des références clas­siques à Hobbes, Rousseau, voire Durkheim ou Max Weber, sans toujours éviter de leur donner un caractère doxographique au lieu d’y trouver matière à approfondissement. Cer­tains rappelaient valablement que chez Rousseau, l’œuvre qui traite des fondements de l’ordre politique – le Contrat social – et le traité « de l’éducation » – l’Émile – sont séparés non seulement comme deux volumes distincts, mais peut-être surtout par les conceptions qu’ils exposent, l’éduca­tion de l’homme étant clairement distinguée de l’institution du citoyen, et confiée à la plus privée des relations, celle de l’élève et de son « véritable précepteur » : son « père » (Livre I). Les thèses de Hobbes en revanche ont rarement fait l’objet de la problématisation dont elles offraient la possibilité : si, comme il le pense, c’est l’institution de l’État-Léviathan qui fait sortir l’homme de son état de nature et le fait accéder à son humanité, on peut se demander comment il est possible qu’à la fois l’État soit nécessaire pour que l’homme devienne raisonnable – ce qui sans doute résume le but de toute éducation – et que par ailleurs il soit censé tenir sa légitimité d’un calcul rationnel, qui aurait conduit les hommes sauvages à un pacte de soumission, jugé préférable à la « guerre de tous contre tous ».

     Qu’on prenne les choses empiriquement ou dialectiquement, il semble que l’action éducative de l’État ait pour conditions de possibilité des formes d’éducation qui ne relèvent pas immédiatement ou directement de lui, pour autant qu’elles le précèdent. C’est une tautologie que l’État ait vocation à rendre ses membres capables d’exercer leur citoyenneté, et même leur inculque le sens du civisme, c'est-à-dire le souci du bien commun et l’acceptation des sacrifices qu’il impose. Il est moins tautologique, mais presque aussi évident, que l’État a vocation à transmettre les éléments de la culture que les communautés plus restreintes qui le composent ne suffisent pas à communiquer, à savoir l’ensemble des compétences scientifiques et techniques nécessaires au fonctionnement d’une société, au moment historique qui est le sien. L’essence de l’État et sa légitimité tiennent alors au fait que ni la communauté familiale, ni la communauté économique – la « société civile » – ne suffisent à réaliser l’hu­manisation, c'est-à-dire l’organisation intelligente de la vie collective. On regrette à cet égard de ne pas rencontrer plus souvent, à côté des références plus haut citées, la Politique d’Aristote, trop peu lue, voire les Principes de la Philosophie du Droit de Hegel, assurément plus difficiles d’accès : ces œuvres auraient été cette année des sources fort instructives.

     Pareille approche de la question permettait d’éviter la platitude et le schématisme dans la conception d’ensemble de l’argumentation. Il n’était pas déplacé de voir dans le sujet une invitation à réfléchir sur les limites des compétences de l’État en matière d’éducation. Certains ont présenté, exemples à l’appui, comme un trait caractéristique du totalitarisme politique la monopolisation des tâches éducatives, commençant par la soustraction des enfants à l’autorité familiale, selon un programme tracé par Platon dans la République, repris naguère par certains courants socialistes, et mis en œuvre par la Chine maoïste. Mais il était maladroit et ennuyeux de bâtir son propos sur le schéma : l’État, oui, mais pas trop… Plus intéressant était l’effort pour tirer de l’essence de la communauté politique tout à la fois la nécessité de sa fonction éducative et les limites de celle-ci, pour autant qu’il lui revient d’articuler entre elles et de s’articuler à d’autres instances, dont elle a besoin de permettre l’activité au profit de ses propres fins. Il est dommage que les copies n’aient guère fait mention du principe de subsidiarité, pourtant réaffirmé avec force dans le texte du Traité de Maastricht.

     De même, le débat sur l’existence, à côté de l’école publique, d’un enseignement privé, n’était pas ici hors de propos, pour autant qu’il met en jeu la définition des fins propres de l’État, et la reconnaissance qu’il lui est demandé d’accorder à des fins qui dépassent les siennes, et qu’il n’a pas dès lors à assumer. Sans doute une telle reconnaissance est-elle l’un des principaux remparts contre le risque de dérive totalitaire, mais il est clair que, dès lors que l’État fonde sa légitimité sur la nécessité, ainsi que sur sa capacité propre de faire coexister une diversité de communautés confessionnelles – ce qu’on appelle : la laïcité –, il ne peut éviter d’avaliser publiquement les fins constitutives de ces communautés comme des fins humainement dignes d’être poursuivies, mais en s’interdisant d’imposer à quiconque les modalités particulières de cette poursuite, et en se refusant par là même, à l’instar d’un roi catholique de Pologne au siècle des Lumières, de se considérer comme le « souverain des consciences ». En toute logique, l’État ne saurait se donner pour mission de sauvegarder la liberté des consciences sans accorder droit de cité, fût-ce à l’intérieur de ses propres institutions éducatives, aux instances qui ont pour vocation essentielle la transmission des traditions qui s’offrent à la conviction personnelle.

 

     Le premier sujet – la désobéissance – ne demandait pas moins d’effort de réflexion que le second, mais requérait en outre le difficile travail de problématisation à partir de la simple dénomination d’une notion, et non pas d’une question déjà riche de suggestions multiples. En fait, les copies moins nombreuses qui l’ont traité se sont montrées souvent plus intéressantes parce qu’elles couraient moins le risque de l’étalage rhapsodique d’indications purement historiques.

     L’exigence principale était sans doute là aussi d’éviter la platitude et l’insignifiance, voire le psychologisme subjectiviste des développements sur le comportement des enfants désobéissants et des adolescents en quête d’affirmation de soi, ou encore le confusionnisme qui fait cataloguer pêle-mêle : Che Guevara, les vols de voiture, l’anarchisme, les mauvaises manières à table, les grèves, les sectes, le Printemps de Prague, le tout à titre d’exemples supposés pertinents, mais sans se soucier de montrer en quoi ils le sont, ni ce que chacun fait connaître de la signification de la notion et de la portée morale de l’acte qu’elle désigne. Ici encore, le souci d’analyse pouvait et devait conduire à comparer, sans les confondre ni forcément les séparer, la notion de désobéissance avec d’autres notions telles que : la faute, la contravention, le délit, le crime, la désertion, la sédition, mais aussi : le refus, l’infidélité, la révolte, la résistance, ou la révolution.

     Les correcteurs n’attendaient pas des candidats qu’ils se montrent déjà capables d’articuler une ontologie et une logique de la liberté, propres à rendre compte de la possibilité de l’acte de désobéissance : si c’était le cas, on pouvait s’en féliciter, mais les copies qui ont pris prétexte de la question pour ne parler que de la liberté ont été considérées comme hors-sujet. Il était plus indiqué, et beaucoup n’y ont pas manqué, même si c’était une approche plus extérieure, d’interroger sur le droit de désobéir, c'est-à-dire de mettre en question non seulement la désobéissance – condamnée en général puisque toute forme de législation exige avant tout l’obéissance –, mais tout aussi bien l’obéissance – puisque notre siècle nous a plus que tous les autres montré que les crimes contre l’humanité se perpètrent avec la complicité éventuellement sereine d’un grand nombre de personnes, dont beaucoup pensent n’avoir jamais fait que leur devoir.

     L’histoire ici donnait du grain à moudre, depuis le refus d’encenser l’empereur qui conduisit certains chrétiens au martyre, jusqu’à l’appel du 18 juin du général De Gaulle, plus souvent cité. Ce dernier donnait l’exemple d’un acte de désobéissance d’une grande portée historique, à la fois réelle et symbolique – et sans doute réelle parce que symbolique – qui contribua à engager un processus de résistance au déferlement d’une barbarie. Le premier exemple avait, lui, l’intérêt de présenter la rencontre d’une foi transcendante et d’un loyalisme civique, qui conduisit ceux qui refusaient un rite à leurs yeux idolâtrique à préférer la fidélité à la vie : les martyrs furent à certains égards les premiers résistants, préférant mourir plutôt que d’abdiquer une liberté dont le champ d’exercice s’étendait pour eux au-delà des limites de l’existence mondaine. La transposition politique d’une telle attitude peut être trouvée dans la subversion non-violente recommandée, théorisée, et pratiquée par Gandhi ou Martin Luther King, et autrement appelée « désobéissance civile » : Thomas d’Aquin n’enseignait-il pas que la résistance à un pouvoir tyrannique n’est pas une sédition puisque c’est ce pouvoir lui-même qui est séditieux ?

     La question était alors envisagée d’un point de vue indissociablement éthique et politique, ou plutôt comme mise en question du rapport entre le politique et l’éthique. Se contenter d’exposer qu’il faut en général obéir, mais qu’il est des cas où l’on peut, voire où il faut désobéir, n’était pas impertinent, mais un peu court, car il s’agissait justement de savoir quelle sorte de règle peut venir fonder ce droit ou ce devoir de désobéissance. Le code militaire napoléonien comportait une clause dite « de la baïonnette intelligente » qui enjoignait à tout subordonné de refuser d’obéir à l’ordre d’un supérieur si celui-ci était manifestement absurde, comme serait l’ordre de trahir, ou de déserter, ou de tirer sur les combattants de son camp. On peut évidemment envisager, comme motifs de désobéissance, d’autres excès dans le commandement des hommes, voire la torture des prisonniers, dont le refus mit fin à la carrière de certains officiers généraux français. Dans tous ces cas, la désobéissance à l’autorité légalement désignée est justifiée par l’appel à une législation supérieure à la loi civile, au motif que celle-ci perdrait en définitive son sens si elle se montrait indifférente à celle-là. Certains n’ont pas manqué de citer à ce propos la tragédie d’Antigone, qui, longtemps avant les Actes des Apôtres, professait qu’« il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». En termes philosophiques, on rappelait que la possibilité même d’instituer par convention les dispositions légales du droit positif a pour fondement les exigences du droit naturel, dont aucune volonté humaine ne saurait décider, sauf à tomber dans le relativisme et à se contenter de la loi du plus fort.

     On pouvait alors – ce fut le cas dans une copie – montrer que la désobéissance, lorsqu'elle n’est pas arbitraire, c'est-à-dire ni capricieuse ni criminelle, est en fait toujours une forme d’obéissance. Parler d’obéissance à soi serait ambigu : c’est sans doute le cas de celui qui agit en allant jusqu’au bout d’une conviction personnelle, par fidélité à un idéal d’humanité ou de sainteté, mais le capricieux ou le délinquant préfère aussi sa propre inclination à la règle qui lui impose le respect du bien commun. Quant au sartrien, il pense certes n’obéir jamais qu’à lui-même, en l’absence de toute règle objective à laquelle il pourrait désobéir, mais alors, c’est la prétention à décider pour les autres qui peut paraître outrecuidante ou absurde. La désobéissance obéissante, soit la juste désobéissance, ne peut être que l’adhésion personnelle à une loi supérieure, une règle de justice-en-soi dont les lois humaines doivent instituer les conditions de mise en œuvre effective, mais sans pouvoir éviter de se révéler inadéquates, voire virtuellement perverses, dans certaines situations conflictuelles qu’il ne leur est pas possible de prévoir. La désobéissance ressortit alors à la vertu aristotélicienne de prudence, qui, tout à l’opposé d’une pusillanimité frileuse, préférera sacrifier aux priorités éthiques les assurances tranquilles du conformisme légal.

     On pouvait donc valablement interroger au plus profond sur l’essence même de la désobéissance en se demandant à quelle condition on peut y voir un acte authentique de liberté : sans doute n’est-ce le cas, puisque la liberté ne saurait être confondue avec l’arbitraire individuel, que lorsque l’on choisit de préférer un plus grand bien à un bien moindre.

 

Session 2000

Sujets : Le pouvoir politique est-il une affaire de compétence ? – Le poids du passé.

     Que les candidats admettent pour principe qu’un sujet doit toujours être envisagé comme un problème à résoudre par l’élucidation des notions qu’il implique, et non pas comme une question qui appellerait une réponse d’ordre simplement factuel.

     Lorsque l’on se demande si le pouvoir politique est affaire de compétence, il ne suffit pas d’assurer que ce n’est pas le cas puisque, bien que les hommes politiques soient parfois sortis des plus grandes écoles (1ère partie), ils n’en font pas moins la preuve de leur incompétence en gouvernant (2ème partie). Mais il ne suffit pas non plus de parcourir, même avec exactitude, l’histoire des institutions, pour attester que la compétence n’a pas toujours été le critère pour l’attribution du pouvoir, puisque celle-ci a pu être déterminée par la naissance, avant de l’être par l’élection.

     Une des difficultés du sujet était assurément de comporter l’expression être affaire de, dont le sens est plutôt indéterminé, mais il fallait voir dans cette indétermination l’appel à préciser les divers sens qu’on pouvait lui donner, ne serait-ce qu’en prenant brièvement en considération ses acceptions courantes : ainsi dit-on d’une tâche qu’elle n’est pas l’affaire d’untel, ou en sens contraire qu’on en fait son affaire. S’imposait alors, quant au pouvoir, au moins la distinction entre son acquisition et son exercice, la compétence étant alors envisagée soit comme sa raison d’être, soit comme son moyen.

     Cette distinction ne pouvait toutefois avoir de portée que si l’on s’attachait à analyser la notion de compétence. Ici encore on pouvait tomber dans le piège de la factualité, si l’on se contentait de remarquer que l’administration d’un État suppose la définition formelle et l’attribution explicite, publiée au B.O., de ce qu’on appelle les compétences, c'est-à-dire les limites données au domaine d’exercice d’un certain pouvoir de décision. Au moins fallait-il alors distinguer, au sein de l’État, entre les pouvoirs proprement politiques et les pouvoirs administratifs, mais le recours à une définition seulement formelle – juridique – de la compétence condamnait à l’insignifiance. Bien plutôt fallait-il entendre dans ce terme la désignation d’un savoir, à la fois théorique et technique, celui qu’on prête à un spécialiste, un expert, ou un homme de métier. Il s’agissait alors de se demander quelle sorte de savoir suppose l’exercice d’une responsabilité politique. Il existe effectivement une Académie des Sciences morales et politiques, et les I.E.P. sont encore couramment dénommés Sciences–po : c’étaient ces dénominations que le sujet mettait en question, en demandant quelle sorte de science pourrait donner compétence sur la « chose publique », ou quelle conception de celle-ci il faut avoir pour penser qu’elle puisse être l’objet d’une science. Nul ne conteste qu’une compétence soit nécessaire et souhaitable pour construire des ponts, mais la question est de savoir si le « gouvernement des hommes » – des personnes –  peut être valablement envisagé sur le modèle de la production, ou selon la formule saint-simonienne et positiviste, de « l’administration » des « choses ». Le sujet pouvait alors apparaître comme une mise en question de ce que notre époque a appelé technocratie.

     Peu de copies ont évité de tenir pour évident ce qui précisément demandait réflexion et avait ici valeur fondamentale, à savoir les notions de politique et de pouvoir. Leur signification est trop souvent réduite à l’activité des hommes politiques, comme s’il était sûr que le pouvoir leur appartînt en propre. Encore fallait–il se demander en quoi celui-ci consiste, ce qui impliquait deux axes de réflexion.

     L’un quant aux modalités de l’exercice du pouvoir, celui-ci consistant en ce que la volonté d’untel vaut décision pour d’autres, donc une relation entre des libertés qui est par là-même d’un autre ordre que la mise en œuvre de forces ou de matériaux maîtrisables. On regrette de n’avoir trouvé qu’une copie pour mentionner la vertu de prudence, que l’éthique aristotélicienne contredistinguait explicitement de la science et de la technè.

     L’autre axe concernait évidemment la finalité du pouvoir, seule voie pour s’interroger sur sa légitimité, et traiter le sujet comme une question de droit et non pas seulement de fait. Car la plupart des discours réputés concrets ou actuels, par opposition aux abstractions philosophiques, comportent en vérité la colossale abstraction de parler du pouvoir comme si le verbe ainsi substantivé pouvait être intransitif, c'est-à-dire sans jamais se demander : le pouvoir de quoi ? Il ne manque certes pas de théories ni de pratiques qui ne reviennent à faire du pouvoir sa propre fin, comme si l’essentiel ici était de le conquérir et de le conserver, et d’exercer une domination qui ait pour but principal la domination elle-même, bref une conception machiavélienne du pouvoir, qui s’est imposée en dépit des intentions mêmes de Machiavel. Un tel exercice du pouvoir est une forme de ce que le nihilisme nietzschéen dénommait la volonté de puissance, dans laquelle Heidegger a vu lucidement une absurde volonté de volonté. Or on aura du mal à échapper à pareille absurdité sans ordonner le pouvoir à un bien commun, et juger qu’il n’y a de véritable pouvoir politique que dans la capacité effective de promouvoir un tel bien.

     On pensera alors que sur ce point Platon avait tout dit, et que, quand bien même on ne le citerait plus, il serait bien dommage qu’on eût oublié la pertinence de ses raisonnements. Car il fut le premier à se demander comment il pourrait y avoir une politique digne de ce nom qui ne se fonde sur une connaissance des normes fondamentales de la justice commune, c'est-à-dire du bien humain comme tel, et d’autre part comment il serait possible de mettre pareille connaissance au pouvoir : car le supposé philosophe qui l’aurait acquise pourrait difficilement faire reconnaître sa compétence par les supposés ignorants auxquels il s’adresserait, et devrait, sauf à renoncer au pouvoir, imposer celui-ci par violence. Certains ont souligné assez lucidement que c’est là une limite de la démocratie, quand bien même on y trouve le moyen légitime et prudent d’éviter la dérive totalitaire des conceptions platoniciennes : car là où la source de l’attribution des charges publiques principales est le suffrage populaire, ce dernier ne peut être qu’un pouvoir accordé à l’opinion plutôt qu’à la compétence, seul moyen peut-être d’éviter, en partie, que certains ne s’arrogent le droit de savoir à la place des autres en quoi consiste le bien qui leur convient.

     On peut sans doute attendre d’un futur citoyen, qui manifeste son intérêt pour les affaires publiques, qu’il soit capable de pareilles interrogations quant à la réalité et à la légitimité du pouvoir politique, pour éviter que ce mot, comme tant d’autres, ne soit utilisé sans que l’on se demande de quoi au juste il s’agit, et qu’on laisse ainsi le champ libre à toutes les sophistiques.

 

     Avoir à disserter sur le poids du passé présentait sans doute la difficulté qu’ici aucune question déterminée n’était posée. Et pourtant une réflexion élémentaire sur la temporalité permettait de formuler aisément ce qui s’appelle à juste titre un problème, c'est-à-dire une contradiction : car si l’on peut dire que le passé pèse, c’est qu’on lui reconnaît une présence influente qui met évidemment en question son caractère même de passé. L’expression proposée traduit sans doute une expérience commune, individuelle aussi bien que collective, mais il s’agit d’élucider le sens exact de cette expérience, s’il est vrai que ce qu’on appelle passé ne saurait peser encore qu’à n’être pas vraiment passé, ou que le passé véritable ne saurait être que ce qui ne pèse plus d’aucune manière.

     Si l’on trouvait trop formelle cette problématisation de la notion de passé, il suffirait de se tourner vers la psychologie pour s’assurer du contraire. Lorsque Freud se mit à enseigner que ses patients, névrosés, souffraient de réminiscences, il entendait bien par là qu’ils continuaient de revivre inconsciemment des situations ou des événements qu’ils n’avaient pas réussi à tout à fait oublier. Ce passé non dépassé pèse au sens le plus ordinaire du terme, c'est-à-dire en tant qu’il blesse la conscience sous la forme d’une angoisse ou d’une tristesse auxquelles, faute d’en appréhender l’origine, elle ne trouve pas le remède : c’est donc bien seulement parce qu'il demeure un élément de la structure psychique présente, et que celle-ci ne se réduit pas à la personnalité consciente, que ce qui s’est passé peut continuer de produire des effets douloureux. Et il est intéressant que le retour d’un tel passé à la conscience, c'est-à-dire le moment où il redevient pleinement présent, soit précisément le moyen par lequel il peut être enfin dépassé.

     Puisqu'il s’agit ici de culture générale, on ne jugera pas inconvenant de regarder du côté de la théologie. Un fameux dogme, dit du péché originel, enseigne non pas une absurde culpabilité pour une faute qu’on n’aurait pas commise, mais plutôt l’existence d’une mystérieuse complicité, indémontrable puisqu’objet de foi, avec le mal accumulé par les générations passées de l’humanité. Que ce dogme ait été honni par la pensée qui s’est dite éclairée ne devrait pas suffire à le discréditer, dès lors que la psychopathologie nous donne à vérifier une telle complicité dans l’histoire personnelle de chacun, tout autant que l’histoire nous la donne à vérifier dans le devenir et l’affrontement des collectivités humaines, mettant ici et là en question la suffisance de la conscience rationnelle à se prémunir contre ses illusions.

     L’histoire était assurément un axe majeur de la réflexion, à condition qu’on ne la réduise pas au rôle d’un réservoir d’exemples. Elle donnait plutôt matière à une réflexion sur les rapports complexes entre les libertés humaines et les déterminismes collectifs qui résultent malgré elles de leur usage même. Il y a une pesanteur évidente de certaines situations géopolitiques héritées, comme celle qui résulta du Traité de Versailles, d’autant plus lourde qu’elle provenait, chez le vainqueur, d’une certitude inébranlée de son caractère légitime, méritoire et glorieux.

     Le travail récent des historiens a d’ailleurs contribué à renouveler la conception que nous avons de notre mémoire. Si nous parlons aujourd’hui d’un « devoir de mémoire » à l’égard de certains moments de l’histoire passée, tels la Shoah ou le totalitarisme soviétique, c’est que, de même que la personne n’arrive finalement à oublier que ce dont elle se souvient bien, de même il nous importe de garder présente la conscience des pires horreurs – mais évidemment aussi des sublimes grandeurs –  que les hommes ont produites, et qui restent possibles puisqu’elles ont été réelles.

     Cette conception renouvelée de la mémoire historique permet de se dire que le passé n’est pas simplement ce qui, de fait, a été, sans que, serait-on Dieu, on n’y puisse plus rien, mais qu’il est plus encore une construction sélective, en laquelle se conjuguent, pour le pire, l’oubli passif et la mauvaise conscience, pour le meilleur, la mémoire active et la conscience lucide, au sens à la fois psychologique et moral du terme. Peut-être n’ira-t-on pas jusqu’à dire que le passé n’a que le poids qu’on lui donne, et que la liberté, ainsi que Sartre a voulu la définir, consiste à néantiser, c'est-à-dire à tenir pour rien ce qui précède ses choix, et dans quoi il y aurait de la mauvaise foi à voir une cause déterminante – comme si la liberté humaine devait s’attribuer, mais en négatif, le caractère absolu d’une liberté divine. Il est pourtant vrai qu’à certains égards le passé n’est que ce qu’on en fait, non pas au sens où l’on ne pourrait que le falsifier en le reconstituant, mais au sens où vivre au présent consiste toujours à assumer un passé d’autant plus lourd de conséquences qu’il est plus ignoré, voire occulté, comme le fut par exemple longtemps l’attitude des milieux politiques et intellectuels français à l’égard de l’Holocauste ou du stalinisme. L’histoire même de nos révolutions nous a convaincus – en était–il besoin ? – que du passé l’on ne fait jamais table rase.

     La question est alors de savoir quel poids il convient de donner au passé, et même plutôt à quelle partie du passé il convient d’en donner, notamment dans les programmes scolaires d’ensei­gnement de l’Histoire, sachant bien que de pareils choix ne manqueront pas, quels qu’ils soient, d’avoir un poids idéologique sur les générations à venir. On retrouve en fait ici l’ambiguïté de la notion même de poids : car de même que le léger peut exprimer soit la légèreté morale, soit l’allégresse, de même le pesant peut désigner tout aussi bien ce qui pèse que ce qui a du poids. Tout comme la solidité d’un édifice dépend du poids de ses fondations, il n’y a pas d’autonomie réelle pour la volonté personnelle si elle ne peut s’ap­puyer sur la consolidation de ces dispositions morales acquises que l’on appelle les bonnes habitudes et les vertus, et il n’y a pas d’institution historique qui puisse s’établir véritablement sans cette forme de consolidation qu’Aristote appelait l’usage, et nous la tradition, fût-ce pour donner à une société les moyens de se réformer aussi souvent qu’elle en a besoin.

     Si enfin l’on désirait, conformément au vœu traditionnel des Instituts d’Études Politiques, actualiser sa réflexion, on pouvait bien faire place à une question qui, pour renvoyer aux plus anciennes notions morales, n’en est pas moins redevenue d’actualité : celle de la repentance et du pardon entre les communautés humaines qui se sont affrontées jusqu’à l’extermination. Du point de vue de la psychologie morale, le remords et le repentir sont deux manières bien différentes qu’a le passé de peser sur une conscience qui ne peut ou ne veut recourir à l’oubli pour se défausser de ses responsabilités. Quant au pardon, s’il ne saurait être l’impossible abolition de la faute, il n’en est pas moins la suppression de sa charge, et l’ouverture d’un espace dans lequel la conscience partagée d’un passé, qui éventuellement défie le regard autant que la parole, peut jeter les fondations d’une construction nouvelle. Peut-être se souvient-on encore que dans le rite de l’eucharistie dominicale, l’invocation de celui qui « enlève le [poids du] péché du monde » fait immédiatement écho à la célèbre prière qui demande le pardon des offenses « comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Quel autre moyen aurait-on pour transformer, comme eût dit Simone Weil, la « pesanteur » en « grâce » ?

 

Session 2001

Sujets : La fin de l’État –  La politique peut-elle être indifférente à la morale ?

     Des candidats qui ont choisi le premier sujet, rares sont ceux à qui le second a mis la puce à l’oreille, en leur donnant à penser qu’il pourrait s’agir d’autre chose que de la seule disparition de l’État. Non pas évidemment qu’il fût impertinent d’aborder la question sous cet angle, à condition de ne pas se contenter de simplement prendre acte, ou au contraire se désoler, de l’absorption des États-nations dans une souveraineté supranationale : la création d’un État fédéral ne saurait signifier une fin de l’État en général, mais on ne pouvait le faire valoir qu’en s’appuyant sur une définition de l’État qui fait cruellement défaut à la plupart des copies. Certains ont en revanche intelligemment souligné que ce que l’on dénomme ainsi a connu plus d’une forme depuis l’Antiquité, est né à une certaine époque, comme toutes les institutions humaines, et que de ce qui est né un jour, il est raisonnable de se demander si cela ne peut pas mourir. Qu’un tel questionnement paraisse inspiré par le simple bon sens ne l’empêche pas de constituer une authentique problématisation, qu’on regrette de ne pas rencontrer plus souvent dans les copies.

     Orienter ainsi sa réflexion conduisait logiquement à se demander si cette institution qu’est l'État a ou non une raison d’être qui permet d’en affirmer la pérennité : la question de l’éventuelle disparition de l'État était dès lors liée à celle de sa finalité. Il n’était pas nécessaire pour cela de recou­rir à une analyse lexicale explicite des diverses acceptions du mot fin : certains s’en sont très bien pas­sés, et ne s’en sont pas moins interrogés légitimement sur ce qui fait la nécessité, donc aussi et d’abord la spécificité de l’institution étatique. Le sujet posé n’avait pas pour but de piéger les candidats qui ne songeraient pas à expliquer que la notion de fin a plusieurs sens, comme on l’attendrait sans doute d’une copie de philosophie. Mais ledit sujet, pas plus qu’aucun autre, ne pose une simple question de mots : aucune réflexion intelligente sur la question ne pouvait faire l’économie d’une interrogation sur la finalité, quand bien même ce dernier terme n’apparaîtrait pas dans la rédaction. Aussi bien la criti­que anarchiste de l'État en tant que structure oppressive a-t-elle dénoncé comme intenable et trom­peuse la conception de ceux qui, tel Spinoza, soutenaient que « la fin de l'État est en réalité la liberté » (Traité théologico-politique, ch.XX), thèse partagée par tous ceux qui, d’Aristote à Hegel, ont cherché à penser la vocation civilisatrice des institutions politiques. Et lorsque Marx a annoncé le « dépéris­sement de l'État » consécutif à la révolution prolétarienne, c’est qu’il envisageait la disparition des conditions qui selon lui donnaient à l'État sa seule raison d’être, à savoir la division de la société en classes et le recours à la coercition administrative pour sauvegarder le rapport d’exploitation au profit de la classe dominante. Et sans doute y a-t-il lieu de se demander pourquoi le processus annoncé ne se produit nulle part.

     C’est ici que la présence du second sujet pouvait inspirer la réflexion pour autant qu’il demandait s’il faut ou non reconnaître à l'État une finalité éthique, comme l’ont pensé les philosophes de la lignée ci-dessus évoquée. La dénégation de cette finalité a commencé avec le projet saint-simonien de « substituer au gouvernement des hommes l’administration des choses », origine des conceptions technocratiques, voire totalitaires, de la politique, pour autant qu’elles reviennent à prétendre gouverner les hommes comme s’ils étaient des choses, ce qui est sans doute la raison de leur échec. Et lorsque Marx annonce le dépérissement de l'État, c’est parce qu'il suppose que la société industrielle aura atteint un tel degré de puissance productive que la satisfaction des besoins humains ne posera plus de problème de répartition. C’était évidemment supposer que les injustices que les hommes commettent les uns à l’égard des autres n’ont pas d’autre origine. Aristote notait pour sa part, peut-être plus lucidement, que « ce n’est pas seulement à cause de ce qui leur est indispensable que les hommes commettent l’injustice » (Politique, II, 7). À supposer qu’un jour la question sociale soit résolue, ou que du moins les rapports d’exploitation économique ne connaissent plus de forme inacceptable, on peut douter que disparaissent pour autant les exigences inhérentes à l’organisation de la vie collective, ne serait-ce que dans le domaine de la transmission du savoir au-delà de l’éducation familiale, ou de la sécurité intérieure et extérieure. L'État peut difficilement faire bon marché de la rectification morale de ses membres, et après tout, l’anarchie que revendique l’anarchisme ne pourrait être autre chose que ce qu’elle est toujours, à savoir une situation de violence mutuelle – la « guerre de tous contre tous » dont parle Hobbes –, que si l’on avait affaire à une société de saints.

 

     En ce sens, le second sujet renvoyait au premier, tout comme le traitement de celui-ci pouvait s’inspirer de celui-là. Reconnaître à l'État une finalité éthique, c’est sans doute s’interdire d’admettre qu’une politique digne de ce nom puisse être indifférente à la morale. Encore fallait-il, pour pouvoir en traiter, s’appuyer sur une définition pertinente de cette dernière et ne pas la confondre, comme c’est souvent le cas dans les copies, avec les mœurs – or, comme dit à peu près Kant, c’est n’avoir aucune idée de la moralité que de croire que « ce qui se fait » soit la règle de « ce qui doit se faire » –, ou avec une conception strictement personnelle de l’existence. C’est bien plutôt l’universalité de droit des lois éthiques, en tant qu’elles commandent le respect mutuel des personnes humaines, qui est en cause ici, la question étant de savoir si la sphère publique où s’exerce la politique peut être soustraite à une loi morale censée ne régir que la sphère privée. Il est à cet égard dommage que la plupart des candidats n’envisagent jamais la politique que du point de vue de ceux que l’on appelle les hommes politiques, et jamais du point de vue des citoyens. Or on doit bien reconnaître que, de la part de ces derniers, admettre l’indifférence de la politique à l’égard de la morale revient à admettre d’être traités par le pouvoir politique sans que soit prise en considération leur dignité morale de personnes responsables ; en termes kantiens, à être traités « comme des moyens » du pouvoir de l'État, plutôt que « comme des fins » donnant son sens à l’exercice de celui-ci.

     Sans doute fallait-il se demander ce qu’on devait entendre par indifférence. Ceux qui avaient une connaissance point trop réductrice de Machiavel ont pu en tirer à ce sujet des réflexions intéressantes. Car la postérité a souvent retenu de son œuvre un immoralisme politique prêché en théorie et non plus seulement osé en pratique. Cette lecture était assurément avantageuse aux puissants de ce monde, ce qui peut expliquer son succès. C’était pourtant un mauvais destin de l’œuvre du florentin que de devenir un paravent intellectuel pour les entreprises les plus iniques et les régimes les plus despotiques que l’histoire ait produits. Comme certains candidats l’ont pertinemment rappelé, Machiavel était républicain et n’attendait de son Prince que la capacité de mettre au pas les féodaux, afin d’établir les conditions d’un ordre public dont le peuple pourrait bénéficier, plutôt que de faire les frais du désordre entretenu par des grands sans scrupules. Pour que l’ordre soit juste, il faut d’abord que l’ordre soit : Machiavel n’est donc nullement indifférent à la morale, puisqu’il veut ordonner une violence politique, pour lui inévitable, à une justice définie dans les termes de la morale humaniste la plus classique, héritée de la philosophie grecque. Que sa pensée ait puissamment contribué au développement d’un machiavélisme politique finalement indifférent aux visées morales qui étaient les siennes, témoigne de la difficulté et du risque que constitue pour l’exercice du pouvoir politique le recours à des moyens qui contredisent les fins sans lesquelles personne ne lui reconnaîtrait de légitimité : c’est le cas lorsque l’on fait la guerre, que l’on traque des bandits ou des terroristes, ou que l’on châtie des délinquants. Si le premier sujet portait sur les fins de l'État, le second portait sur l’adéquation des moyens du pouvoir politique aux fins qui lui permettent d’être autre chose qu’une violence contraignante.

     Ici encore, on a tout à gagner à se garder du simplisme. Une idée souvent rencontrée dans les copies est que la politique serait moralement satisfaisante, et même indiscutable, à partir du moment où elle est démocratique. Le démocratisme peut pourtant apparaître comme une indifférence à la morale dès lors que, par exemple sous la forme de l’idéologie du politically correct, il dénonce quiconque prétend s’opposer à l’opinion majoritaire en référence à une norme éthique indépendante d’elle. L’Ancien Régime paraît avoir été à cet égard moins indifférent, en ce qu’il subordonnait, au moins en principe, l’autorité royale à une loi divine dont aucune conscience humaine ne saurait décider. L’absolutisme royal a certes été un affranchissement à l’égard d’une telle norme. Mais l’absolutisme de la majorité n’en diffère pas essentiellement dans son principe, et peut conduire au despotisme de l’opinion. C’est bien pourquoi les Droits de l’Homme, qui servent aujourd’hui de référence pour juger la politique des États, sont déclarés « naturels et imprescriptibles » : ils constituent bien des exigences éthiques dont la seule proclamation, et non pas le contenu, dépend d’une convention volontaire, et, en tant que tels, une norme faute de laquelle aucune politique ne pourrait se considérer comme authentiquement humaine.

     Retour au premier sujet. On touche ici à un troisième sens de la notion de fin, qui l’identifie à celle de limite. Dira-t-on qu’il fallait être latiniste pour le percevoir, on répondra qu’il suffisait pour cela de se poser une question aussi simple que : l'État, où est-ce que cela commence, et où est-ce que cela finit ?, ce qui était bien le moindre dès lors qu’on entreprenait, comme il le fallait, de dé-finir ce dont on avait à parler. Or il s’agit ici bien moins d’une question de délimitation spatiale (les frontières de l'État français) ou temporelle (la chute de l’Empire romain), que de savoir jusqu’où s’étend la compétence de l'État, c'est-à-dire le droit qu’il a d’exercer son pouvoir politique. L’histoire du XXème siècle a donné une importance cruelle à cette question. Reconnaître à l'État une finalité éthique, c’était le subordonner en droit à la dignité morale des personnes, et à la loi morale qui découle de celle-ci. Le totalitarisme politique se définit avant tout par la dénégation de cette double subordination, et les régimes totalitaires n’ont pas jusqu’ici fait preuve d’une remarquable longévité. Reconnaître à l'État une telle finalité, c’est sans doute le considérer comme un acquis humain durable plutôt que voué à disparaître, mais à la condition de se concevoir comme un moyen subordonné au droit des personnes plutôt que comme l’instance qui aurait le pouvoir d’en décider.

 

Session 2002

Sujets : Peut-on avoir raison tout seul ? – Y a-t-il un droit à la vie ?

     Demander si l’on peut avoir raison tout seul, c’est sans doute interroger sur une condition pour que l’homme fasse usage d’une capacité qui lui est spécifique d’être dans le vrai, d’une manière qui dépasse l’ordre des simples constatations, ou des leçons aléatoires de l’expérience. Tel candidat a cependant remarqué avec pertinence que rien n’imposait a priori de restreindre le champ du questionnement à l’homme : la question de savoir si la solitude permet ou empêche d’être dans le vrai peut être envisagée du point de vue d’un être divin qui, dans son unicité primordiale, pourrait fort bien exister seul et n’en être pas moins en possession de toute vérité connaissable. Et après tout, si aucune intelligibilité des choses ne précédait l’intelligence que l’homme en prend en réfléchissant à l’aide de sa raison, on ne comprendrait guère comment il se fait que l’homme puisse tantôt avoir tort et tantôt avoir raison. On en conclura que si l’homme peut avoir raison, il ne saurait sans doute être le premier à le pouvoir, n’étant premier ni quant à l’être, ni donc quant au connaître. Dira?t?on qu’une telle forme métaphysique de la réflexion n’a plus cours, on répondra qu’il n’y a là qu’une opinion qui n’est peut-être qu’un effet de mode, contre lequel on ne saurait trop louer de jeunes esprits de manifester l’indépendance de leur pensée.

     À vues plus humaines, on citait à bon droit quelques exemples historiques qui attestent que certaines vérités ont d’abord été connues par des individus isolés, souvent mal acceptés par leurs contemporains – même si les découvertes ou les innovations théoriques de la science ont rarement été le fait d’un unique individu. On souhaiterait toutefois ne plus lire dans tant de copies que Galilée a révélé aux hommes que la Terre était sphérique, que cela lui a valu d’être condamné comme hérétique, et de se voir interdire de poursuivre ses recherches : il y a là trois erreurs notoires qui ont la vie dure, pour être sans doute colportées sur les lieux où c’est le savoir qui devrait se transmettre – tant il est vrai que l’obscurantisme n’est pas toujours là où l’on dit qu’il est. Il eût mieux valu citer Leibniz, qui écrivait avec plus de justesse : « lorsque Copernic était presque seul de son opinion, elle était toujours plus vraisemblable que celle de tout le reste du genre humain » (Nouveaux Essais sur l'Entendement humain, IV, 2, § 14). Dans un ordre de préoccupations qui intéressent peut-être plus directement les futurs étudiants de l’I.E.P., on pourrait citer un exemple souvent invoqué par Alfred Sauvy, un peu seul il est vrai à avoir reconnu son importance : en 1938, Paul Reynaud fut le premier depuis 1929, a obtenir une inversion positive des courbes économiques, en mettant en œuvre un programme qui avait fait l’unanimité contre lui dans toute la presse, « de l’extrême?droite à l’extrême?gauche » (L’économie du diable, p.291). On citerait aussi volontiers le cas de Raymond Aron, qui fut longtemps le seul à oser une analyse critique du marxisme et du stalinisme, au sein d’une intelligentsia française qui jugeait massivement préférable, selon le mot de Sartre, de « ne pas désespérer Billancourt ».

     Certains en ont inféré à juste titre que le sujet conduit à s’interroger sur la nature et les exigences d’une démocratie. Se rappelant peut-être un sujet donné en 1998, ils faisaient valoir qu’un tel régime condamne toute voix isolée à l’insignifiance, puisque son principe, qu’on peut juger relever autant de la prudence politique que de la justice, consiste à recourir à l’arbitrage majoritaire en matière législative, voire pour l’attribution de certaines charges publiques : on peut à bon droit juger raisonnable d’assurer la paix civile par le consentement, donné d’avance par tous, à se soumettre à la décision de la majorité. Or, si de fait, en démocratie, majorité fait loi, rien n’indique, et les exemples cités prouvent plutôt le contraire, qu’une opinion majoritaire soit toujours plus lucide que celles qui n’ont pas pour elles la force du nombre : ce dernier, s’il s’agit d’avoir raison, en politique comme en science, ne fait rien à l’affaire. Sauf évidemment à admettre, comme tel ténor de la philosophie contemporaine, qu’en matière de valeurs, il n’y a pas de vérité, parce que « la raison (...) peut tout justifier », et qu’il « ne s’agit pas ici d’avoir raison, (...) mais d’être les plus forts » (André Comte?Sponville, Valeur et vérité, pp.46 et 102). Ce soi?disant humanisme, qui se flatte de faire pièce à tous les racismes et autres sectarismes, n’est qu’une version renouvelée de la loi du plus fort, et pour tout dire un fanatisme bien?pensant. Certains candidats ont fait valoir, même sans citer personne, qu’un tel point de vue devait constituer une dévalorisation de la démocratie plutôt que sa justification en profondeur, et que  tout, dans les choses humaines, ne relève sans doute pas du même arbitraire, serait?il majoritaire, que celui qui permet de décider de quel côté on doit rouler sur les routes.

     C'est pourquoi il était beaucoup plus intéressant de se demander – les meilleurs l’ont fait – ce que c’est au juste qu’avoir raison, en science comme en politique ou plus généralement en morale, et à quelles conditions la chose est ou devient possible à tout un chacun. Car on entend par là le fait d’être dans le vrai, et la première condition est sans doute qu’il y ait une vérité connaissable, et non pas de simples conventions dont aucune ne pourrait être jugée en soi meilleure qu’une autre. Mais avoir raison, ce n’est pas seulement être dans le vrai, c’est pouvoir produire les raisons qui attestent la vérité de ce qu’on pense – ces preuves qui faisaient cruellement défaut à Copernic et Galilée lorsqu'ils exposaient leur héliocentrisme. Dès lors – certains l’ont souligné à bon droit –, on ne saurait avoir raison sans rendre raison, et cette opération implique d’elle-même le rapport à celui ou ceux à qui elle s’adresse, en même temps qu’elle donne le moyen d’obtenir ce fruit naturel de la preuve rationnelle que Kant dénommait « l’accord des esprits ». Les mêmes faisaient valoir que nul ne peut savoir et vérifier qu’il a raison, si ce n’est en justifiant publiquement sa pensée, et en la faisant partager par les raisons qu’il en donne – ajoutons : sous une forme qui échappe autant que possible aux prestiges éventuellement fallacieux de la persuasion rhétorique, ce que la science a tout loisir de faire, et la politique beaucoup plus difficilement.

     Plus rares ont été ceux qui ont poussé leur analyse un cran plus loin, en notant qu’avoir raison tout seul ne signifiait pas forcément : être le seul à avoir raison. Si l’on se demandait ce qui rend un individu capable de raisonner, c'est-à-dire capable tout à la fois de se tenir à soi?même un discours logique et de communiquer rationnellement avec d’autres, on pouvait répondre qu’il faut d’abord pour cela avoir une capacité spécifique de raisonnement – une intelligence – que toutes les espèces naturelles ne possèdent pas, mais aussi que sans la relation à autrui, l’usage de cette faculté devient à terme impossible, comme le montre l’exemple des humains qui ont été précocement réduits à un état d’isolement. C’est la culture qui donne les moyens de mettre en œuvre cette capacité naturelle que nous appelons la raison ; et le paradoxe est qu’elle permet éventuellement à un individu d’être à un certain moment le seul à avoir raison envers et contre tous, alors qu’il est impossible d’avoir ainsi raison tout seul, puisque c’est seulement au sein d’une communauté humaine qu’on en est devenu capable : notre rationalité est foncièrement dialogale, et il n’y a pour nous de logique qui ne soit d’abord dialogique. Certains ont à bon droit cité Descartes comme l’exemple d’un philosophe pour qui le confinement dans la solitude, et la volonté de ne penser que par lui-même et à partir de lui-même, étaient les conditions de l’accès à toute vérité. Or, lorsque Descartes entreprend de douter méthodiquement de tout ce qu’il a acquis depuis son enfance, il ne peut le faire que moyennant le sens des mots dont il a hérité, et qui reste pour lui hors de doute. Aristote – référence elle aussi bienvenue – avait pour sa part affirmé qu’il faut voir en l’homme, spécifiquement pris, « un animal politique par nature », parce que chez lui, et lui seul, « l’utile et le nuisible, le juste et l’injuste, le bien et le mal » sont affaire de logos, lequel ne peut s’exercer et se développer que dans la vie communautaire : pour mener une existence solitaire, il faut être « une bête » – tel un homme réduit à l’état de bête –, « ou un dieu » (Politique, I, 2).

 

     La question de savoir s’il y a un droit à la vie pouvait paraître à cet égard plus exigeante et plus discriminante que l’autre, non seulement de par l’importance de son enjeu éthique, mais parce qu'elle exposait d’emblée à une interprétation réductrice, dont trop de candidats se sont contentés. L’expression « Y a?t?il... ? » pose assurément une question d’existence, mais le sujet interrogeait sur l’existence d’un droit, et cela devait suffire à interdire de prendre cette question d’existence pour une simple question de fait. D’où le manque de pertinence et d’intérêt de ces démarches qui revenaient, schématiquement, à dire : 1/ il y a bien un droit à la vie puisqu’il est inscrit à la tête des Droits de l’homme ; mais : 2/ il n’y a pas de droit à la vie, puisque partout l’on tue, parfois légalement, et c’est bien triste. On objectera peut-être que le positivisme juridique consiste précisément à prendre le droit comme un fait, et que la question posée ne peut, de son point de vue, avoir un autre sens. À quoi l’on pourra répondre que ce positivisme comporte le paradoxe d’annuler la spécificité de ce dont il prétend parler, pour autant que la reconnaissance d’un droit, et la règle qui l’exprime, sont précisément ce qui permet de distinguer un état de droit d’un simple état de fait – distinction qui n’a assurément de sens que si l’on ne confond pas le droit avec ce que prescrivent les règles de fait, autrement dit si l’on distingue le droit naturel et le droit positif.

     Se distinguaient dès lors immédiatement les copies qui montraient ce qui peut apparaître problématique dans le fait de considérer la vie comme un droit. Ici encore la métaphysique, cette mal?aimée, donnait la possibilité d’une ampleur de perspective qui pouvait avoir plus d’intérêt que les ronronnements historico?journalistiques sous prétexte d’actualisation. Leibniz pensait que, pour voir dans la création du monde une œuvre de la sagesse divine, il fallait reconnaître aux créatures un « droit à l’existence » – soit un droit à la vie pour les vivants –, faute de quoi la volonté du Créateur serait immotivée. Certains, sans aller jusqu’à citer Leibniz et s’enferrer dans les méandres de son rationalisme, ont posé le problème d’une manière beaucoup plus simple quant à la forme, et pourtant très proche de la sienne quant au contenu : nous parlons couramment de donner la vie pour désigner la génération d’un petit d’homme, mais s’il s’agit d’un don – que celui-ci soit humain, divin, ou les deux à la fois –, il paraît difficile de considérer la vie comme un droit, puisque le propre du don est que le donataire reçoit du donateur autre chose et plus que ce à quoi il a droit. On pouvait aussi, dans la même ligne, faire valoir que nul n’a jamais demandé à vivre, et que la vie, si elle est un droit, a ceci de singulier qu’elle ne peut, à la différence des autres droits, faire l’objet d’une revendication. Ou encore que tout droit, et toute revendication d’un droit a pour présupposé fondamental l’existence – la vie – de celui qui l’a ou le réclame. Certains ont souligné à juste titre qu’avant de proclamer l’égalité des droits, la Déclaration des Droits de l’homme réfère celle-ci non seulement à la liberté, mais à la naissance : si la vie est ce dont les droits découlent, comment peut?elle être elle-même considérée comme un droit ?

     À prendre les choses ainsi, on était conduit à reconnaître que, si l’on ne vit jamais par droit, en revanche, dès lors que l’on vit, on a comme premier droit celui de voir cette vie respectée, et mise par les lois à l’abri de toute forme de violence dont elle pourrait être victime de la part d’autrui : c’est en cela que consiste ce que l’on appelle le droit à la vie. Les hommes n’ont en effet à se reconnaître des droits que dans la mesure où ils ont conscience d’avoir par nature une commune vocation à l’humanité – c'est pourquoi la référence à la naissance est inamissible –, et conscience en même temps que le libre accomplissement par chacun de cette vocation est toujours tributaire du comportement volontaire des autres à son égard, à commencer par celui de ses géniteurs et de ses éducateurs. L’interdiction du meurtre est, on le sait, le plus universel de tous les interdits, ce qui semble bien signifier que la vie est le premier objet des devoirs mutuels que les hommes ont les uns à l’égard des autres, et en ce sens le premier des droits. On peut néanmoins noter que, dans le Décalogue, le commandement « Tu n’assassineras pas ! » fait suite non seulement à l’indication des devoirs envers Dieu, mais aussi à l’injonction d’honorer son père et sa mère, indiquant très clairement la double source qui confère à chacun le droit à voir sa vie respectée. Et il faut aussi noter que la Torah exigeait la peine de mort contre le meurtrier : sans doute peut?on juger préférable de ne pas reproduire, en la sanctionnant légalement, la violence de l’homicide, mais d’une part on ne peut confondre la violence faite à un innocent et l’élimination physique d’un criminel, d’autre part il faut reconnaître que la peine capitale signifie qu’à partir du moment où la vie est reconnue comme un droit, l’exercice de ce droit est, comme tous les autres, soumis à la condition de réciprocité – bref, il se mérite par le respect dont on doit faire preuve à l’égard de la vie d’autrui. En d’autres termes, si la vie est un droit, on peut démériter de son droit à l’exercer, quelle que soit la forme que prend la sanction de ce démérite.

     On en vient alors logiquement à se demander ce qu’il convient au juste de mettre sous ce terme de vie quand on la considère comme un droit, c'est-à-dire comme l’objet de devoirs humains réciproques. Le terme a d’abord assurément un sens biologique, et l’on pourrait à cet égard considérer que la vie est respectée comme un droit lorsque, par exemple, on conserve à l’état congelé des embryons humains, en vue de la recherche scientifique, ou de la procréation techniquement assistée – si précisément lesdits embryons n’étaient pas considérés comme un simple matériel de laboratoire, promis à la destruction passé un certain délai fixé par la loi. Et lorsque le préambule de la loi Veil sur l’interruption volontaire de la vie embryonnaire – souvent citée par les candidats – stipule qu’elle « ne met pas en cause le droit à la vie », cela n’est possible que dans la mesure où ce dont l’existence est ainsi interrompue n’est pas considéré comme un vivant ayant ce droit, même si cet amas de cellules est destiné à devenir miraculeusement une personne humaine, sujet de droits, pour peu qu’on lui en accorde la possibilité, et même si, paradoxalement, la loi lui reconnaît, en tant qu’infans conceptus, le droit d’hériter avant même de naître. Du moins est?il certain qu’aux termes d’une telle disposition législative, ce n’est plus la vie en tant que résultat d’un acte générateur humain qui s’impose à la reconnaissance publique, comme source et premier objet de tous les droits : c’est cette reconnaissance qui est censée avoir à déterminer à partir de quand une vie commencée devient un droit pour celui qui la vit. Le paterfamilias romain avait droit de vie et de mort sur ses enfants et sur ses esclaves.

     Si l’on jugeait pour le moins ambigu de prétendre ainsi segmenter le même devenir individuel en y distinguant une vie d’abord purement biologique, puis une subite accession à la dignité personnelle – forme renouvelée d’un très vieux dualisme qu’on ne manque pas de récuser par ailleurs –, on en venait logiquement à se demander si la vie pouvait être considérée comme un droit parmi d’autres, un droit particulier distinct des autres droits, ou si au contraire ceux-ci ne devaient pas plutôt être considérés comme les formes concrètes et particularisées d’un même droit à la vie. C’est sans doute évident pour toutes les obligations légalement sanctionnées qui ont trait à la sécurité des personnes, à l’hygiène, et tout aussi bien à la liberté de circulation. Certains ont fait valoir que le droit à la vie n’avait de sens que comme notion éthique, et devait donc impliquer de soi la dimension éthique de l’exis­tence : en référence à Aristote, ils en concluaient que ce droit ne pouvait concerner le seul « vivre », mais plus encore le « bien?vivre » (Politique, III, 9), précisant que ce dernier ne se confond pas avec le seul confort ou l’abondance des biens matériels, mais inclut ces biens immatériels que l’homme peut se procurer dans la communauté de ses semblables, tels l’éducation, la culture, l’amour et l’amitié. Le droit étant un mode de relation spécifiquement humain, un droit à la vie ne peut signifier qu’un droit à une vie humaine, c'est-à-dire humanisée, y compris pour ces vivants humains qu’un handicap ou une souffrance prive momentanément ou durablement de la pleine jouissance de leur humanité. Certains en ont légitimement conclu qu’on ne saurait reconnaître un droit à la vie sans juger pour cela même intolérables certaines inégalités planétaires des conditions de vie, tout comme le refus de la part de certains pays riches de souscrire aux efforts pour mettre fin aux pollutions qui menacent la vie des générations futures.

     Certains enfin n’ont pas reculé devant une question aussi légitime que douloureuse, celle de savoir si la reconnaissance d’un droit à la vie pouvait aller sans celle d’un droit à la mort. D’une manière générale en effet, ce à quoi j’ai droit, ou ce de quoi j’ai le droit, c’est ce dont autrui ne peut légitimement m’empêcher ou me priver, pour autant que ma volonté en fait son objet. Considérer la vie d’un individu comme son droit reviendrait dès lors à dire qu’elle doit être respectée dans la seule mesure où il veut vivre, c'est-à-dire continuer à vivre. Certains ont cependant fait valoir qu’au?delà du problème que constitue la perspective d’éventuelles manipulations rendues possibles par la reconnaissance d’un droit à l’euthanasie, il convenait de prendre en considération ici la particularité irréductible de la vie, alors même qu’elle est envisagée comme un droit à l’instar de beaucoup d’autres choses : c’est là ce qui sans doute motivait le sujet posé, mais aussi, plus profondément, ce qui motive aujourd’hui notre inclination à juger la peine de mort illégitime autant que détestable, alors que toute peine est, en tant que telle, privation d’un droit reconnu par ailleurs. Certains se sont par suite demandé si, dans la mesure où la vie est irréductiblement reçue sans être voulue, il ne fallait pas, plutôt que d’un droit à la vie, parler d’un devoir de vivre, et trouver dans un tel devoir la source d’un respect à la fois inconditionnel et mutuel, par lequel les personnes reconnaissent se devoir réciproquement ce que chacune doit à elle-même. Et en effet, comment voir dans la vie le premier des biens en soi respectables, si chacun doit la considérer comme l’objet d’une volonté facultative ?

 

Session 2003

Sujets : La guerre signifie-t-elle la fin du droit ? – Communauté et société.

     Le second sujet – « Communauté et société » – s’est révélé plus discriminant que le premier. Beau­coup n’y ont vu que le prétexte à se faire l’écho, avec un degré variable de précision et d’in­formation, de l’actuel débat sur le communautarisme. Certaines copies ont été jugées peu satisfaisantes qui, tout en étant quantitativement abondantes et formellement structurées, semblent n’avoir vu dans le sujet que l’occasion d’une récitation ou de la restitution d’une fiche de lecture, en l’absence de toute problématique qui aurait pu donner à la fois un sens et un intérêt à une authentique réflexion. Au mieux, de telles copies, ainsi que beaucoup d’autres, formulaient seulement la question de savoir si et comment il est possible de faire coexister diverses communautés à l’intérieur d’une même société, ce qui débouchait invariablement sur l’appel à une politique du compromis : un peu de communauté, parce que c’est le seul moyen, devant l’inéluctable mondialisation et l’individualisme dont elle se nourrit, pour que l’individu trouve le moyen de s’assurer une identité dont paradoxalement cet individualisme le prive ; mais pas trop, parce que les revendications communautaires – comme Rousseau l’opposait aux catholiques dans son chapitre sur La religion civile (Du Contrat social, IV, 8) – mettent en péril l’unité sacrée du corps social, obsession de toute la pensée politique issue du platonisme. L’inévitable appel à la tolérance mutuelle servait alors de refuge ultime.

     La liberté philosophique d’esprit consistait ici – et plus d’une copie en a fait preuve – à s’évader des lieux communs sociologiques ou idéologiques du débat contemporain, pour se demander à quoi au juste les termes de ce débat, constitutifs du sujet, pouvaient censément renvoyer, c’est-à-dire comment il faut entendre, en respectant tout à la fois des exigences de cohérence et de pertinence par rapport aux réalités dont on prétend parler, les concepts de communauté et de société. Un candidat attentif pouvait remarquer que le sujet les énonçait l’un et l’autre au singulier, et que cela incitait suffisamment à mettre en question l’opposition aujourd’hui clichée qui fait associer communauté et pluralité, société et unité.

     Une telle élucidation conceptuelle était nécessaire si, comme c’est le cas dans certaines copies, on se refusait à restreindre la réflexion à un point de vue uniquement anthropologique, en rappelant que la zoologie parle de sociétés animales, par exemple d’insectes ou de primates. On devait alors se demander si le terme de société a dans ce cas exactement le même sens que lorsqu’on l’applique à des collectivités humaines censées être autre chose que des communautés.

     D’une manière générale, les candidats éviteraient certaines bévues si, plutôt que de chercher seulement à restituer le contenu de leurs récentes lectures, ou des ouvrages qu’on leur a résumés, ils s’interro­geaient sur le sens des termes qu’ils utilisent, ce qui, lorsqu’ils s’y emploient, leur permet souvent de faire preuve d’un savoir plus riche que dans le premier cas. C’est ainsi par exemple qu’ayant interrogé sur la possible coexistence de communautés au sein d’une société, on en vient à caractériser les premières avec les qualificatifs : ethniques, culturelles, religieuses, sexuelles, etc. Exceptionnelles sont pourtant les copies à faire la remarque, qui relève d’un bon sens historiquement instruit, qu’une communauté telle que l’Église catholique – la première internationale de l’histoire – est assurément plus vaste que la plupart des sociétés dont elle inclut certains membres. On en concluait à juste titre qu’une différenciation purement quantitative, implicitement présupposée par l’idée qu’une société inclut des communautés, est notoirement insuffisante, et que le problème politique de la coexistence des communautés peut provenir de ce qu’une appartenance communautaire signifie parfois l’appartenance à un ensemble qui transcende les limites de telle société, organisée en État au sein de frontières territoriales : on ne peut pas dire exactement la même chose des amish et des chi’îtes.

     Les copies jugées les plus intelligentes sont celles qui se sont demandé jusqu’à quel point on peut séparer, voire opposer les deux termes, comme on tend à le faire aujourd’hui, bref qui n’ont pas hésité à mettre en question certains présupposés implicites du débat actuel sur le communautarisme. Cela revenait en fait à se poser des questions très simples : qu’est-ce au juste que vivre en communauté et vivre en société, soit : quelle est la nature du lien constitutif des deux types de rassemblement ainsi dénommés ? On pouvait évidemment se référer sur ce point à Max Weber, curieusement délaissé en général au profit de Tönnies, Renan, ou Diekoff. Mais de la distinction entre Gesellschaft et Gemeinschaft on retient le plus souvent le caractère affectif supposé de la seconde par opposition au caractère rationnel de la première – comme s’il ne pouvait y avoir rien de rationnel dans une profession de foi religieuse, ni rien d’affectif dans la collaboration à cette sorte de société qu’est une entreprise.

     Les mieux inspirés ont fait valoir que la notion de communauté implique étymologiquement l’idée de quelque chose de commun, ce qui est clair lorsqu’il s’agit d’une foi partagée qui peut aller jusqu’à se penser comme une communion, mais explique aussi que, par dérivation, on en soit venu à parler de communauté entre des personnes qui ont, par exemple, les mêmes revendications, tels certaines femmes ou certains homosexuels. Une distinction classique, largement ignorée, pouvait ici servir à la spécification du lien communautaire : celui-ci consiste en effet dans la participation à un bien réellement possédé en commun, et que, pour autant, on a traditionnellement désigné comme communicable, pour le distinguer de ces biens qui sont dits partageables parce qu’ils ne peuvent être possédés par l’un sans qu’un autre en soit par là-même évincé. Les biens matériels relèvent de la deuxième catégorie ; les biens spirituels – tel le fait de pouvoir communiquer dans une langue donnée – de la première. Sans doute ne peut-il exister de communauté sinon en référence à un bien de ce dernier type, mais la multiplicité de tels biens fait aussi qu’une personne appartient assez inévitablement à plusieurs communautés à la fois : tel, par exemple, un harki musulman, arabophone et francophone

      Et assurément, il est des communautés qui, dans l’histoire, se sont constituées tout à la fois au sein de collectivités plus vastes, et en se démarquant des mœurs de ces dernières, en raison de leurs convictions propres : ainsi en fut-il, dans un contexte marqué tout à la fois par les traditions juives et les lois romaines, des premiers chrétiens qui, aux dires des Actes des Apôtres, traduisaient leur foi commune au Christ ressuscité par une mise en commun de tous leurs biens, chacun se servant de ses richesses pour subvenir aux besoins des autres. Il préludaient ainsi de loin à l’invention de la vie cénobitique (terme grec signifiant : vie commune), laquelle fut d’abord un regroupement d’anachorètes (terme grec désignant ceux qui se sont éloignés de la vie mondaine pour se consacrer à la prière), dont les communautés monastiques sont les héritières.

       On voit sur cet exemple qu’il peut y avoir, mais pas forcément, un antagonisme entre une communauté et la collectivité dont elle se démarque. Ce fut encore le cas avec le mouvement hippie qui, refusant la société dite à l’époque « de consommation », en appelait à sa transformation en communauté intégrale, sexuelle autant qu’économique. Mais si l’on considère le rôle civilisateur des communautés monastiques dans l’histoire de l’Europe, on en conclura que leur retrait du monde n’avait pas seulement la signification d’un repli autarcique et contestataire, mais tout aussi bien celle d’une présence active au sein des réseaux économiques d’échange, contribuant par là-même, matériellement autant que spirituellement, à la reconstitution puis à l’entretien de ce que nous appelons le tissu social.

        Si l’on cherche alors en quoi une société se distingue de ces communautés dont l’histoire donne tant d’exemples, on butera inévitablement sur une difficulté relevée par les candidats les plus lucides : car on ne voit pas en quoi pourrait consister une vie en société qui ne comporterait aucune sorte de bien commun, à commencer par ces moyens de communication que sont les langues tout autant que les voies de circulation. Tout bien considéré, on voyait mal comment définir la société sinon comme une forme de communauté, dont il s’agissait alors de savoir ce qui la spécifie. Or, sur ce point, il est très étonnant que si peu de candidats, alors que l’étymologie pouvait ici encore guider la réflexion, aient songé à recourir au concept d’association, le seul peut-être à rendre intelligible la spécification recherchée. Cette notion renvoie à celle d’un engagement mutuel entre des personnes, soit de cette forme particulière de promesse que l’on appelle un contrat, tel celui qui lie un employeur et ses employés, ou celui qui permet la constitution d’une société par actions, notions dont on s’étonne qu’elles n’apparaissent presque jamais dans les copies.

     La notion de contrat avait pourtant l’intérêt d’être devenue un concept majeur de la philosophie politique, depuis que celle-ci a entrepris de penser comme un acte de libre association le passage de l’état de nature à l’état de société, autrement dénommé état civil : c’est les cas dans toutes les philosophies dites contractualistes, de Hobbes à Rousseau. Ceux qui s’y référaient faisaient parfois valoir que le supposé contrat social était, de l’aveu même de ces auteurs, une fiction, et, dans le meilleur des cas, ils concluaient de là qu’il y avait peut-être quelque difficulté à se représenter ce qu’il est convenu d’appeler la société comme le résultat d’une association délibérée, soit comme une société au sens le plus propre que peut avoir ce terme. Rousseau ne l’en utilisait pas moins, mais il opposait si peu les deux termes du sujet posé que l’unique clause du contrat social était pour lui « l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté » (Du Contrat social, I, 6).

     Ce n’est peut-être pas sans raison qu’on a fini par voir dans cette formule, censée être le fondement de l’idéal républicain, la matrice de tous les totalitarismes : elle revient en effet à concevoir la société, en fait implicitement identifiée à l’État, comme une communauté intégrale, virtuellement exclusive ou ignorante de toute appartenance autre que la citoyenneté, et réduisant ainsi à néant la part laissée à cette individualité des individus qui est censée être à son fondement. D’où l’on pouvait tirer une conclusion qui relève plutôt d’une logique réaliste que d’une tolérance bien-pensante : une société politiquement organisée – un État – n’évite d’être totalitaire qu’à la condition de reconnaître la préexistence de liens communautaires sans lesquels elle ne pourrait même pas se constituer, et d’assurer aux personnes ou aux groupes les conditions qui leur permettent de nouer des liens de libre association. La communauté des citoyens pourra être définie comme une société politique, pour autant que la citoyenneté implique le consentement volontaire à une loi universellement commune, par-delà toute participation à un bien commun particulier.

     On se prend alors à considérer que certaines lectures sont plus fécondes que d’autres, et que de ce point de vue, les philosophes ne sont pas toujours les plus mal placés, tant qu’ils écrivent dans le but manifeste d’être compris. La Politique d’Aristote, le véritable fondateur, après Platon, de la science politique et de la sociologie au sens le plus moderne de ces termes, offrait tous les ingrédients nécessaires à une réflexion sérieuse et un peu libre sur le sujet proposé. Au moins faisait-elle place à cette forme élémentaire de communauté, la plus naturelle aux yeux d’Aristote, quoique fondée sur une association éventuellement libre, mais étrangement ignorée dans la quasi-totalité des copies : la famille, lieu de communisme s’il en est – en dehors des couvents –, lieu de la transmission des premiers biens communautaires – et notamment d’une langue dite maternelle –, lesquels permettront à l’individu qui y naît malgré lui de s’ouvrir à une diversité de liens sociaux plus étendus. C’est ensuite comme regroupement des familles, en vue de satisfaire leurs intérêts économiques au moyen des échanges, qu’Aristote pense cette société civile que les allemands dénomment bürgerliche Gesellschaft, et dont il dit, à l’encontre de tous les ronronnements actuels, dont trop de copies se font l’écho, sur le caractère supposé uniformisant de la communauté ou – c’est selon – de la société : « une communauté ne naît pas entre deux médecins, mais entre un médecin et un agriculteur, et en général entre des personnes différentes et non égales, mais qu’il s’agit d’égaliser » (Éthique à Nicomaque, V, 8). C’est, enfin, la logique interne de ces deux premières sortes de communauté qui implique pour Aristote l’institution, volontaire mais non moins conforme à la commune nature des hommes, de la communauté politique destinée à encadrer les premières par une législation commune, et à régler judiciairement leurs litiges, voire à les protéger militairement contre une agression extérieure.

     Ces distinctions théoriques fondamentales permettaient aussi de comprendre qu’aucune communauté partielle au regard de la communauté politique, seule complète pour Aristote, ne saurait revendiquer un droit à la reconnaissance, voire à la protection, sans du même coup reconnaître la nécessité rationnelle de l’organisation collective – l’État et sa loi commune – à laquelle elle en appelle, c’est-à-dire sans reconnaître la nécessité de sa propre obéissance à cette loi. C’est dans la mesure où une communauté partielle est en tant que telle inapte à régler de son seul point de vue ses rapports avec les autres qu’elle est selon Aristote vouée à s’intégrer – ce qui ne veut pas dire : s’assimiler – à un tout plus vaste, compétent pour cela précisément parce qu’il ne se confond avec aucune des communautés dont il s’agit de régler les rapports. Le propre d’une démocratie est de faire de la détermination des règles communes l’objet d’une négociation publique, sans qu’on puisse aucunement préjuger d’une harmonie préétablie entre les exigences internes d’une communauté et ce qu’une majorité élue détermine comme règle dont le respect institue l’espace public de coexistence, dans lequel aucune personne ni aucun groupe ne peut se prévaloir de sa particularité à l’encontre des autres. C’est évidemment d’après un tel principe que peut se définir la notion de laïcité, par opposition à toute forme de religion d’État, et du même coup à cette religion de l’État qu’aura été, sous ses diverses formes, le totalitarisme athée.

     Réfléchir ainsi à la distinction et aux rapports des concepts de société et de communauté donnait à penser que le débat sur le communautarisme – dont tant de copies se font l’écho en citant des livres à la mode – repose souvent sur la double présupposition implicite d’une confusion entre la société et l’État, et d’une conception de ce dernier sur le modèle associatif, censément opposé au modèle communautaire, présupposition assurément fort discutable, mais qui n’est sans doute pas sans effets idéologiques et pratiques dans le conflit entre un communautarisme réputé identitaire et un anticommunautarisme supposé républicain.

 

     C’est un même effort d’analyse conceptuelle qu’on attendait de ceux, de beaucoup les plus nombreux, qui avaient choisi le premier sujet : « La guerre signifie-t-elle la fin du droit ? ». Le recours au verbe signifier plutôt qu’au verbe être pouvait éviter des réflexions en elles-mêmes légitimes, mais ici déplacées, sur la polysémie du terme fin, sinon pour envisager, comme le font certaines copies, un renversement du sujet revenant à voir dans le droit ce qui donne à la guerre sa véritable finalité, et dans la guerre moins la fin que le commencement du droit. Certains faisaient valoir, parfois en référence à Hobbes, que l’affronte­ment violent comporte une sorte de logique interne de la destruction, voire de l’autodestruction, par laquelle il est voué à mettre fin à lui-même et à se dépasser dans une situation pacifiée, dans laquelle un droit reconnu donne aux conflits humains une solution collectivement plus avantageuse que le recours à la force. Encore fallait-il souligner qu’un tel droit, alors même qu’on peut y voir un résultat logique de l’affrontement guerrier, n’est jamais le produit pur et simple de la guerre, qui en résulterait comme mécaniquement : il est au contraire des traités de paix – celui de Versailles est le plus souvent cité – qui apparaissent comme un prolongement et une perpétuation de l’état de guerre, plutôt que comme la restauration des peuples combattants dans leurs droits respectifs. Du moins y avait-il du sens à penser que la fin du droit est toujours en définitive de mettre fin à la guerre – effective ou potentielle.

      Ici encore l’usage du singulier dans la formulation du sujet n’était pas indifférent. Il appelait à considérer non pas seulement des droits divers (à la vie, à la sécurité, à la libre expression, etc.), voire diverses acceptions du droit (naturel ou moral, positif ou légal). Certains se sont employés, avec méthode et pour autant valablement, à chercher lesquels de ces droits se trouvaient ou non suspendus dans la guerre. Mais le sujet portait plus profondément sur le droit en général, soit ce qu’on appelle couramment aujourd’hui l’état de droit, voire l’idée du droit au sens que Kant donne à cette expression : « Toute action est juste qui peut faire coexister le libre arbitre de chacun avec la liberté de tous suivant une loi universelle » (Métaphysique des mœurs, Doctrine du droit, Introduction, § C). Cette définition oppose le rapport de droit à tout rapport de force, ou, dans les termes de Rousseau, le droit à la loi du plus fort. Dès lors, le recours à la force ne peut logiquement apparaître d’abord que comme l’abolition du droit, même s’il s’agit d’une suspension provisoire plutôt que d’une suppression définitive.

      De rares candidats ont cependant fait valoir que l’absence de droit avait eu historiquement une forme et un nom : l’esclavage, soit l’asservissement par lequel certaines personnes se sont trouvées réduites au statut de choses, utilisables à merci par d’autres. Et de fait, il est des guerres – il y en a eu plus d’une au XXème siècle – qui ont été entreprises dans un tel but, et ont produit un tel résultat : des razzias à grande échelle. Or l’asservissement n’est ici qu’un effet postérieur à la guerre : lorsqu’une population qui en est menacée se défend pour y échapper, elle se trouve alors dans son droit, non seulement parce qu’elle est en situation de légitime défense, mais parce que, tant qu’elle est debout pour se battre, son droit n’a pas cessé d’être : loin d’être la fin du droit, un tel combat est au contraire ce qui reste encore d’un droit menacé, et cette considération vaut pour tout peuple attaqué, quelles que soient les intentions ou les motivations de son agresseur. Il faut alors voir dans la guerre considérée en elle-même un état dans lequel le droit comme tel n’est pas encore anéanti.

      Cela conduit à réfléchir à la question de la légitimité de la guerre – du droit à la guerre (jus ad ou in bellum) – à laquelle néanmoins on ne saurait réduire le sujet. Impossible d’éliminer l’idée d’une guerre juste, sauf à priver les peuples de tout moyen, lorsqu’il n’y en a pas d’autre, de défendre leur droit à disposer d’eux-mêmes : les guerres de libération, quand elles n’ont pas été le moyen d’asservir des populations à des partis révolutionnaires, pouvaient être citées, et plus généralement les guerres défensives ; car il faut être au moins deux pour faire la guerre, et il n’est pas possible qu’il n’y ait pas de guerre juste s’il y a des guerres qu’il était injuste d’entreprendre. Lorsqu’une guerre vise entre autres choses la réduction à l’état de sous-hommes – pour parler comme Nietzsche –, soit la privation de tout droit, voire l’élimination physique d’une supposée race malfaisante, c’est sans doute non seulement un droit, mais un devoir, de s’y opposer par les armes. C’est en fait l’idée même du droit qu’une telle guerre tend à anéantir, puisque ce qui l’inspire est une négation de la commune humanité des hommes, qui est en dernière instance le seul fondement – naturel – des droits qu’ils ont à se reconnaître.

      Pareille entreprise a conduit à la définition juridique du crime contre l’humanité, et à l’institu­tion d’un tribunal pénal international pour en poursuivre autant que possible les auteurs. Quoi qu’il en soit des limites aisément décelables de son efficacité, certains y ont vu à juste titre la preuve que l’état de guerre ne met pas fin au droit puisqu’on peut, même en guerre, se rendre coupable de certains crimes, bien que l’élimination physique de l’ennemi ait cessé d’en être un. Le recours a posteriori contre les criminels de guerre renvoie à l’idée d’un droit de la guerre (jus belli ou in bello), dont ne dispense pas le simple fait de mener une guerre légitime : ce droit interdit de tuer l’ennemi qui a déposé les armes, et oblige à traiter les prisonniers suivant des normes qui sont aujourd’hui fixées par la convention de Genève, souvent citée.

       Il est évident que de telles conventions internationales n’impliquent pas d’elles-mêmes que tous les belligérants s’y conforment, mais cela est vrai de toute loi humaine et constitue la raison majeure pour laquelle un certain recours à la force est toujours de droit et non pas contre le droit. Certains ont trouvé là à juste titre l’indice de ce que les hommes ont de fait cherché et cherchent encore à définir et instituer les conditions pour que le recours à la guerre, dont rien ne permet d’affirmer qu’il soit toujours évitable, n’équivaille pas à un anéantissement du droit. Cela impliquait évidemment l’impossibilité de répondre de façon univoque à la question posée, car le terme de guerre recouvre manifestement des réalités différentes. Il n’y a pas que des guerres entre nations, mais aussi des guerres civiles, qui peuvent résulter des ambitions personnelles de certains politiciens, tel Jules César, et dans lesquelles on peut bien voir la destruction d’un état de droit, avec ses pires conséquences – même s’il en est qui résultent d’insupportables injustices, voire si l’on admet avec Thomas d’Aquin que le renversement d’un tyran n’est pas un acte séditieux parce que c’est le tyran lui-même qui gouverne de manière séditieuse (Somme de théologie, IIa-IIae, q.42, a.2).

     Les candidats les plus lucides ont vu qu’ici aussi le sujet appelait une réflexion sur la définition même de la guerre. Si l’on met à part le cas de la guerre civile, le terme désigne la manière dont des collectivités humaines organisées – tribus, peuples, nations, États – règlent leurs différends faute d’avoir cherché ou réussi à le faire par les voies d’une entente diplomatique. C’est pourquoi, lorsqu’il énonce les critères d’une guerre juste, Thomas d’Aquin mentionne non seulement la justice de la cause – la paix, la liberté – et la rectitude de l’intention – à l’exclusion de toute visée impérialiste –, mais encore le fait que la guerre soit déclarée par l’autorité politique légitime (op.cit., IIa-IIae, q.40, a.1). Tel est le sens qu’il faut donner à la formule de Clausewitz, souvent citée mais parfois à contresens : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Certains candidats, rares, en ont conclu avec profondeur qu’il fallait à cet égard distinguer entre la guerre et les actions terroristes, alors même que celles-ci recourent éventuellement aux mêmes moyens de destruction que celle-là : le terrorisme ne respecte pas plus le droit de la guerre que celui des populations qu’il est censé servir, et la riposte guerrière au terrorisme ne peut dès lors apparaître que légitime dans son principe, quoi que l’on puisse penser des intentions secrètes de ceux qui l’entreprennent, et de leur soumission ou non aux directives d’une organisation internationale.

     D’autres ont fait valoir avec non moins de raison que l’évolution moderne des armements et la logique de leur utilisation tendait à mettre la pratique de la guerre en contradiction avec son propre droit, d’une manière qui pourrait aboutir à lui faire perdre toute légitimité. Réfléchir sur le concept de la guerre ne saurait revenir à ignorer ses formes concrètes pour se confiner dans l’abstraction d’une définition. Or l’invention et le développement des armes nucléaires, chimiques, ou bactériologiques sont allés de pair avec la définition d’une stratégie anti-cités, qui revenait à faire des populations civiles non-combattantes la cible et par conséquent l’otage de la menace que constitue l’éventualité de leur utilisation. Ce qui est en cause ici, ce n’est pas seulement le droit, mais la raison elle-même, dans la mesure où elle a permis aux hommes de se doter d’armes dont l’usage ne manquerait pas d’atteindre aussi leurs utilisateurs, ce pour quoi ceux-ci se trouvent dissuadés de s’en servir, et contraints, selon une logique déjà évoquée, à chercher une entente pour les détruire d’un commun accord, ou du moins empêcher leur prolifération. Par un retournement de l’absurde contre lui-même, la logique du droit impose ici encore sa nécessité, de l’intérieur même des formes les moins justifiables de la préparation à la guerre. Les moyens d’une autodestruction globale de l’humanité existent, mais ils mettraient fin à la guerre en même temps qu’au droit.

 

                                                                                                                                             Michel Nodé-Langlois

                                                                                                                                 Coordinateur de la commission

                                                                                                                de correction de l’épreuve de

                                                                                                                                               Culture générale