Philopsis

Les travaux publiés sur ce site fondé et dirigé par Pascal Dupond, et destiné à la préparation des concours en philosophie, peuvent être trouvés à l'adresse :

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Thomas et son Principe

Prologue « In principio erat Verbum ». Longtemps avant de devenir l’une des plus fortes têtes métaphysiques, le petit oblat de l’abbaye du Mont-Cassin, héritier de la famille d’Aquin promis à une carrière abbatiale, fut bercé et allaité au Prologue de l’évangile de Jean, texte-phare de la liturgie chrétienne, tant occidentale qu’orientale. Le latin de Jérôme décalquait […]

La théorie aristotélicienne du lieu

On reproche couramment à la physique aristotélicienne de ne pouvoir être une science authentique, de ne pouvoir être que “ préscientifique ”, du fait qu’elle serait fondée sur une métaphysique, c’est-à-dire, suivant une identification généralement admise aujourd’hui, sur de l’invérifiable. Ce jugement est très équivoque parce qu’il repose sur des définitions et des oppositions étrangères au point […]

Panorama platonicien

I. Les dialogues de jeunesse A. Morale. L’intérêt premier de Platon pour l’éthique et la politique lui vient de son éducation aristocratique et de l’influence de Socrate. Le Premier Alcibiade présente Socrate en dialogue avec un jeune athénien ambitieux qui veut se porter au pouvoir. Socrate fait valoir que celui-ci n’a de sens que comme […]

Philèbe – Commentaire de texte (20d-21d)

La question générale du Philèbe, dialogue sans doute tardif de Platon, est celle du bonheur, autrement dit, selon une assimilation que l’on retrouvera dans l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, du souverain bien. Plus précisément, il s’agit de « montrer quelle capacité et disposition de l’âme est capable de procurer à tous les hommes la vie heureuse » (11d, 4-6), c’est-à-dire de définir un bien qui soit à la fois proprement humain, par opposition a celui des bêtes, et à la disposition de tous les membres de l’espèce, plutôt que réservé à une élite.
On comprend dès lors que la discussion porte avant tout sur cette thèse que l’on peut dénommer « hédoniste », puisqu’elle identifie le bien au plaisir, thèse de Philèbe, énoncée dès le début du dialogue dans son opposition à la thèse « intellectualiste » de Socrate (11b). Le plaisir apparaît en effet comme l’expérience à la fois la plus immédiate et la plus commune du bien en tant que celui-ci est par nature l’objet d’un désir.

Commentaire du Discours de Métaphysique de Leibniz

Leibniz n’avait pas intitulé son ouvrage, mais c’est sous cette appellation, devenue traditionnelle, qu’il en parle dans une lettre au Landgrave Ernest de Hesse-Rheinfels du 1 ou 11 (selon le calendrier grégorien déjà en usage en France, mais pas en Allemagne) février 1686.
Le terme de discours indique un propos suivi de nature didactique, qui ne se limite pas à l’exposition ordonnée des thèses principales du système leibnizien – comme dans ces deux abrégés tardifs (1714) que sont les Principes de la nature et de la grâce fondés en raison, et la Monadologie –, mais en détaille les raisons.
La métaphysique est à entendre ici en son sens précritique de « science du suprasensible », soit de ce qui existe au-delà de la nature sensible, ou n’est accessible qu’à une intellection à défaut de sensation.

Commentaire des Passions de l’âme

Le texte ici présenté fut d’abord un cours proposé aux khâgneux du Lycée Pierre-de-Fermat à Toulouse. L’enseignement étant, selon la belle formule aristotélicienne l’acte commun du maître et du disciple, ils méritent d’être nommés d’abord puisqu’il est clair qu’ils y ont eu leur part.

Cette origine explique aussi les limites du propos : il s’agit d’un outil de travail, élaboré dans la perspective de la préparation d’un concours de recrutement. On n’y trouvera donc nulle prétention à l’originalité philosophique, non plus qu’à l’exhaustivité en matière de documentation universitaire.

Le but – modeste – était d’aider à la lecture et à la compréhension du texte cartésien, sans lui substituer constamment le commentaire comme s’il ne s’expliquait jamais assez bien lui-même, mais en suggérant la structure de son développement logique, et en le rapprochant d’autres passages de l’auteur, voire en le confrontant à ses sources, pour autant qu’il s’en démarque tout en s’en inspirant.

L’outil de travail veut être aussi une invitation à la lecture. C’est pourquoi nombre de textes sont mentionnés sans être cités in extenso.

Plotin — Ennéades — traité 38. Commentaire

… Il s’agit du pas ultime à accomplir, dès lors que l’accession à la vie spirituelle a permis à l’âme de jouir de la beauté des formes qui sont dans l’intellect. Plotin laisse entendre ici qu’il y aurait quelque chose d’inachevé dans la poursuite du souverain bien si l’âme s’en tenait à cette jouissance : la […]

L’eudémonisme aristotélicien

Ce qui fait pour nous l’intérêt de l’éthique aristotélicienne, c’est son caractère intempestif, à un double titre. Nous avons appris à penser la morale d’après Kant comme centrée sur la notion de devoir et consistant essentiellement dans une liste d’obligations et d’interdictions, ou d’après Nietzsche comme la « négation de la vie », et même si ces […]

La pensée et le mouvant. Commentaire (Introduction I et II – Le possible et le réel – L’intuition philosophique)

Avant-propos Le recueil est présenté comme « complément » de L’Énergie spirituelle, ce dernier portant sur des « résultats » tandis que l’autre porte sur « la méthode », et plus précisément sur « l’origine » de celle-ci, ainsi que sur « la direction qu’elle imprime à la recherche ». La distinction entre les deux n’a rien de nouveau, et remonte aux Grecs, notamment à […]

La théorie platonicienne des Idées

Kant fait l’éloge de Platon dans la 1 ère section de sa Dialectique transcendantale (PUF p.262-265). Il lui fait l’honneur d’avoir décelé le besoin inamissible qu’éprouve la raison de transcender l’expérience, et d’avoir le premier mis en valeur le rôle pratique de l’idée en tant qu’idéal moral. Ces deux thèses sont maintenues par l’idéalisme kantien […]

Commentaire des Fondements de la métaphysique des mœurs

« Fondements » pour Grundlegung : le singulier allemand renvoie à l’opération logique qui fait l’objet de la recherche, le pluriel français au résultat de celle-ci, en laissant entendre que ce dont il est question – les « mœurs (Sitten) » – ne repose pas sur un fondement unique. Pourtant, vers la fin de la Préface, Kant présente son œuvre comme « la recherche et l’établissement du principe suprême de la moralité (Aufsuchung und Festsetzung des obersten Prinzips der Moralität) ».
Fondement veut dire : principe, c’est-à-dire raison ultime.
D’où l’usage du terme métaphysique, dont l’usage par Kant, en 1785, peut surprendre eu égard à la critique dont la métaphysique précritique a fait l’objet dans la Critique de la Raison pure.
Cet usage se comprend en fonction de la première définition, par Aristote, de ce qui s’est appelé ensuite métaphysique : « science des premiers principes et des premières causes ».
Le résultat de la critique de la raison théorique a été une réduction du champ d’application de cette notion. Il ne peut plus être question pour Kant d’une science des premières causes, c’est-à-dire, au bout du compte, de la cause première identifiée au principe divin de l’univers : celui-ci ne peut plus être l’objet d’un « savoir (Wissen) », mais seulement d’une « foi (Glauben) », sous la forme d’un « postulat de la raison pratique », qui ne sera d’ailleurs présenté comme tel que dans la seconde Critique, en 1787.

De natura rerum. Commentaire

L’épicurisme a dans l’histoire de la philosophie une situation singulière, qu’on peut caractériser comme un double retour.
Retour d’abord à ce qui selon Aristote fut l’un des gestes philosophiques marquants de Socrate : ramener la philosophie du ciel sur la terre, c’est-à-dire chercher la solution des questions morales, plutôt que l’explication théorique des phénomènes naturels. La morale socratique paraît avoir été un eudémonisme, empreint même d’un certain hédonisme. Épicure quant à lui donne pour objet essentiel à la sagesse philosophique la réalisation d’une vie heureuse, dont le critère et le moyen sont le plaisir. Il y a chez lui comme une primauté du point de vue pratique, en ce sens que le bonheur, défini comme paix de l’âme, est ce qui donne leur raison d’être à toutes les parties de la philosophie, y compris la physique et la théorie de la connaissance.
On peut bien voir là un retour par rapport à ce qui avait été le dernier mot en la matière des deux plus illustres disciples de Socrate : Platon et Aristote. Ni l’un ni l’autre assurément n’ont négligé le perfectionnement moral des individus ni la réforme politique de la cité. Ils s’y sont employés en actes et pas seulement en discours. Mais ils avaient situé le souverain bien, et Aristote plus encore que Platon, dans l’activité de connaissance, et plus précisément dans la connaissance du plus haut intelligible : Dieu en tant que bien absolu, souverain bien. Aussi Aristote subordonnait-il les vertus morales, nécessaires à l’action, à cette fin en soi que peut seule être la contemplation de la vérité. L’épicurisme inverse cette subordination.
Cette inversion ne signifie cependant pas une renonciation à la spéculation théorique, dans la mesure où une certaine théorie apparaît nécessaire à la paix de l’âme.

Le temps a t-il une réalité ?

La question peut paraître absurde tant nous avons d’expressions pour signifier le temps, explicitement : longtemps, en même temps que…, au temps de…, ou implicitement : hier, aujourd’hui, demain, etc. Quand nous les utilisons, nous avons tout sauf l’impression de parler pour ne rien dire, et nous savons que ce n’est pas le cas lorsque par exemple nous fixons un rendez-vous.
Nous avons donc certainement une pensée du temps. Or la question ne porte pas sur l’existence de cette pensée, mais sur la réalité de son objet. Car nous admettons aussi que tout ce que nous pensons n’existe pas réellement pour autant. Nous pourrions par exemple demander : le rêve a-t-il une réalité ? et nous répondrions sans peine que le rêve existe comme état d’un certain sujet, mais que ce qu’il rêve n’a aucune réalité distincte de la sienne. Le contenu du rêve n’existe pas comme réalité, mais seulement comme image d’une réalité.
On peut donc se demander s’il n’en va pas du temps comme du rêve, car le cas du temps apparaît en fait plus problématique que celui du rêve.

Introduction au stoïcisme

Une interprétation traditionnelle, contestée par Michel Foucault, voit dans le stoïcisme impérial une transition, avant que la sagesse chrétienne ne prenne le relais de la sagesse païenne. La position de Foucault est sans doute très marquée par son rapport peut-être névrotique à ce qu’il pense être la conception chrétienne de la sexualité, d’où sa volonté d’opposer radicalement les deux sagesses en voyant dans la seconde essentiellement une hantise de la chair, une diabolisation du plaisir, ce qui est un contresens répandu mais étonnant de la part d’un savant.
La sagesse chrétienne n’est pas avant tout une diabolisation de la chair, mais une éthique de la responsabilité personnelle, dominée par la notion de liberté qui est inhérente à l’idée fondamentale de création.
Si les deux sagesses s’opposent, c’est d’abord en ce que la sagesse païenne a d’abord été dominée, elle, par l’idée de destin et de nécessité, ainsi qu’en témoignent les tragédies grecques et certains mythes platoniciens. L’école stoïcienne a fait dès ses débuts de l’affirmation du destin l’un de ses dogmes fondamentaux.
La contestation de cette idée avait cependant été un aspect majeur de la philosophie naissante, chez Platon et plus encore chez Aristote, qui a donné la première théorie philosophique de la notion de responsabilité personnelle, en faisant de l’homme, de par sa conscience rationnelle, le « principe » de ses actes. Il restera quelque chose de cette affirmation dans les notions stoïciennes d’hégémonikon (principe directeur), et d’authexousion (pouvoir sur soi).

Aristote, De Anima, Le sens commun

– Commentaire d’un texte d’Aristote : De l’Ame, III, 2, 426b 8 – 22
– Traduction du passage dans le document joint : Michel Nodé-Langlois.

Le traité De l’Âme d’Aristote est sans doute la première étude philosophique systématique de la perception sensible, dans le prolongement des recherches platoniciennes attestées par le Théétète ou le Timée. On peut même dire que l’œuvre d’Aristote comporte la première théorie de la perception en tant que celle-ci se distingue de la simple sensation. Après avoir en effet consacré la plus grande partie de son deuxième livre à l’étude détaillée de chacun des cinq sens externes − vue, ouïe, odorat, goût, et toucher −, Aristote en vient à introduire, au début du troisième livre, une notion originale et inédite, celle d’un sens commun, irréductible aux sens externes, et pourtant inhérent à leur exercice.

Cette notion est complexe et peut bien apparaître problématique. En tant qu’il vient s’ajouter aux cinq sens, le sens commun semble être une sorte de sixième sens, mais Aristote nie expressément, au chapitre 1, qu’il y en ait plus de cinq, et cela parce que, à la différence des autres sens, le sens commun n’a pas d’objet déterminé, ni non plus d’organe propre : on peut donc se demander s’il ne lui manque pas tout ce qui a servi à caractériser chacun des sens comme mode naturel d’appréhension d’un certain sensible.
Aristote juge pourtant nécessaire la notion d’un sens commun pour rendre compte de trois aspects de notre rapport sensible au monde. Il lui attribue en effet trois fonctions qui sont : premièrement, la perception des sensibles communs, soit l’appréhension de tout ce qui, dans le sensible, ne relève pas en propre de l’un des sens externes ; deuxièmement, la réflexivité par laquelle, en sentant, nous sentons que nous sentons, soit la conscience sensible ; et enfin le discernement par lequel nous pouvons appréhender ensemble les divers sensibles sans les confondre, et les rapporter les uns aux autres.

C’est à cette dernière fonction qu’est consacré notre passage. Sa thèse générale est que, s’il n’existait pas de sens commun, il serait impossible de percevoir les différences entre les divers sensibles. Les premières lignes du texte (1-4) font état de l’existence de fait de cette perception. Puis, dans un deuxième temps (lignes 4 à 8), Aristote établit que cette perception relève nécessairement d’une faculté sensible, avant de montrer qu’il faut attribuer à celle-ci une unité qui l’oppose à la diversité des sens externes.