Kant - Le droit

            La « Division d’après le rapport subjectif des obligeants et des obligés » (Métaphysique des mœurs, Doctrine du droit, Introduction, III) circonscrit le champ des droits humains en faisant apparaître qu’il ne saurait exister de rapport juridique ni avec des bêtes dépourvues de conduite rationnelle, ni avec des hommes censément dépourvus de personnalité juridique, ni avec la divinité.

 

1

Le rapport juridique

de l’homme

à des êtres

qui n’ont

ni droit ni devoir.

 

Vacat

Ce sont en effet des êtres

privés de raison,

qui ne nous obligent pas,

et envers lesquels

nous ne pouvons être obligés.

 

2

Le rapport juridique

de l’homme

à des êtres

qui ont aussi bien des droits

que des devoirs.

 

Adest

C’est en effet

un rapport

d’homme à homme.

 

3

Le rapport juridique

de l’homme

à des êtres

qui n’ont que de purs devoirs

et n’ont pas de droits.

 

Vacat

Ce seraient en effet

des hommes

sans personnalité

(serfs, esclaves).

 

4

Le rapport juridique

de l’homme

à un être

qui n’a que des droits

et n’a aucun devoir (Dieu).

 

Vacat

À savoir

dans la simple philosophie,

parce que ce n’est pas

un objet de l’expérience possible. »

 

   

     N.B.

1/ Le premier cas peut être tenu pour une évidence aisée à vérifier empiriquement, car il ne peut y avoir de rapport juridique là où il ne peut y avoir de réciprocité consciente d’ordre logique – ce qui n’empêche nullement de se refuser, d’un commun accord, à faire souffrir les bêtes que l’on veut consommer, à l’instar d’autres prédateurs dans la nature.

2/ Le deuxième cas est envisagé comme une possibilité logique qui a été aussi une réalité historique, mais il fait apparaître qu’une institution comme l’esclavage repose sur un déni d’humanité, qui en fait l’injustice intrinsèque : « un être humain ne peut même pas être propriétaire de soi-même, encore bien moins peut-il l’être d’une autre personne ».

3/ Le troisième cas ne se comprend qu’en fonction de la critique théorique de Kant. On pourrait penser en effet qu’en toute logique, comme l’enseignent les religions monothéistes, le droit de la divinité est, pour des raisons d’ordre ontologique, le premier de tous, fondamental par rapport à tous les autres. C’est pourquoi Montesquieu, au début de L’esprit des lois (I, 1), et d’un point de vue purement philosophique, met le devoir de religion au nombre des lois naturelles « antérieures à la loi positive » : « si un être intelligent avait créé un être intelligent, le créé devrait rester dans la dépendance qu’il a eue dès son origine ». Mais la Critique de la Raison pure aboutit à l’affirmation que la divinité est inconnaissable pour la raison humaine, parce que, en dépit des raisonnements imparables qui conduisent à conclure son existence, cette conclusion ne peut faire l’objet d’une vérification empirique. Bref, Dieu ne pouvant être connu ni mathématiquement ni physiquement, Kant en infère qu’il ne peut pas être connu du tout. Dès lors, bien que Dieu soit « un être qui n’a que des droits et n’a aucun devoir », cela n’est vrai qu’idéalement et ne donne lieu à aucune relation de droit réelle : « La relation est ici simplement idéale, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une relation à un être de pensée que nous nous fabriquons nous-mêmes, non pas pourtant au moyen d’un concept de cet être qui serait totalement vide, mais d’un concept qui est en relation à nous-mêmes et aux maximes de la moralité intérieure ». Comme Rousseau le voulait à la fin du Contrat social, il faut de la religion, mais seulement en idée, pour soutenir l’État civil en lui obtenant l’adhésion morale des citoyens.