La Boîte à Joujoux

La boîte à joujoux

 

[Conte écrit, et créé le 14 août 2018, pour le concert "familles" de la 9ème saison des Estivales de Megève,

en vue d'illustrer l'oeuvre éponyme de Claude Debussy jouée par le pianiste Jeong-Heum Yeon]

 

Debussy boite a joujouxDebussy boite a joujoux (11.81 Mo)

 

 

Chers amis,

Je vais vous conter l’histoire merveilleuse de deux petits enfants, un petit garçon et une petite fille, ou plutôt de ces deux petits enfants et de leur grand-père, qui eurent ensemble une aventure à peine imaginable.

Le petit garçon se nommait Goliard. Il avait une sœur jumelle appelée Nanette. C’est en fait celle-ci qui était l’aînée, car elle était née la première, mais on croyait que c’était l’inverse, parce que Goliard s’était vite révélé plus costaud.

Ils passaient ensemble des vacances chez leurs grands-parents. En fait, ils y séjournaient en attendant celles de leurs parents, qui étaient encore au travail, même si l’été avait commencé.

Tout allait aussi bien que possible, dans une paix que favorisait le silence de la campagne, quand une nuit, Goliard se mit à crier : « Grand-père ! Grand-père ! Viens vite ! Viens tout de suite ! »

Grand-père se tira du lit, en maugréant un peu, pensant que le garçon avait été incommodé par un moustique bourdonnant à son oreille, ou qu’il avait perdu son « doudou », sans lequel, tout comme sa sœur, il ne pouvait s’endormir.

Le grand-père les trouva l’un et l’autre éveillés, assis chacun dans son lit, avec une touche d’émotion dans le regard.

« Qu’y a-t-il ? » demanda l’aïeul.

« - Il y a quelqu’un qui marche au-dessus de nous, répondit Nanette, et il nous a réveillés. J’ai peur ! »

« - J’ai peur aussi », renchérit Goliard.

« - Mais voyons ! dit le grand-père : il n’y a personne au-dessus de vous, rien que le grenier de la maison, qui est tout vide, et fermé à clé ».

« - Non ! Non ! Il y a quelqu’un qui marche ! », protestèrent les enfants. « On ne peut pas dormir ».

« - Un hibou peut-être », risqua le grand-père, « comme dans Tintin ». Mais cette hypothèse n’eut pas l’air de calmer les deux petits…

« - Bon, d’accord », reprit-il. « Nous irons voir demain matin. D’ailleurs, on n’entend plus rien. Calmez-vous, et rendormez-vous tranquillement ! »

Ce qu’ils firent, sans autre incident jusqu’à l’aube.

Mais sitôt levés, ils coururent jusqu’à la chambre de leurs grands-parents, et toquèrent à la porte en disant à voix forte : « Grand-père ! Grand-père ! C’est l’heure de monter au grenier ».

Le grand-père n’avait qu’une seule parole. Sans quitter son pyjama, il chaussa ses pantoufles et quitta sa chambre, en priant les enfants de faire moins de bruit, afin de laisser leur grand-mère dormir.

L’escalier du grenier fut vite gravi. Grand-père fit jouer la clé dans la serrure, et les enfants pénétrèrent avec lui dans un lieu qu’ils n’avaient jamais vu, et qui leur était même interdit.

Un lieu plutôt sombre, à peine éclairé par les rais de lumière que le soleil levant jetait par un soupirail ; un lieu surtout fort poussiéreux : ce n’était pas là que Grand-père et Grand-mère passaient le plus souvent le balai !

Un lieu mystérieux en tout cas. Forcément…

Si impatients qu’ils fussent, Goliard et Nanette s’y avancèrent avec prudence et un peu d’hésitation.

1er tableau

[Mesures 1 à 23, 1er temps]

Le grenier était bel et bien vide.

Ou presque.

De hibou, point. Et d’ailleurs, Grand-père s’était employé à remplacer le carreau du soupirail, voire quelques ardoises du toit, de manière à rendre le lieu impénétrable.

Mais dans un coin, sous un angle de la charpente où se voyait tout l’art des menuisiers qui l’avaient construite, juste à l’aplomb de la chambre des enfants, Goliard et Nanette aperçurent, tandis que leur grand-père inspectait soigneusement l’ensemble de la pièce, un joli coffret, ancien sans doute, mais point trop usagé.

« Qu’est-ce que c’est ? », cria Nanette à son grand-père, qui explorait l’angle opposé.

« - Ça ? » dit-il en s’approchant, « c’est une boîte à joujoux ».

« - Une boîte à quoi ? » demanda Goliard très étonné.

« - Une boîte à joujoux !... Un coffre à jouets, si tu préfères »

« - Ah ! Des jouets » reprit Goliard – car joujoux ne faisait pas partie de son vocabulaire, pourtant déjà riche en dépit de son tout jeune âge.

« - Des jouets ! Des jouets ! », s’écria Nanette en trépignant. « Vite, Grand-père, il faut ouvrir le coffre ! »

[Mesures 23, 2e temps, à 36]

La déception succéda vite à l’exultation, lorsque tous trois s’aperçurent que l’élégante serrure ne portait pas de clé : le coffre était fermé, impossible de l’ouvrir !

Ayant redescendu l’escalier quatre à quatre, Goliard, Nanette et Grand-père consacrèrent les heures suivantes à chercher la clé dans toute la maison. Peine perdue : la clé restait introuvable, et celles qu’on avait retrouvées au fond de quelque tiroir étaient inopérantes.

Grand-père dit alors :

« Nous allons demander au père Moreau, l’ancien serrurier du village, de nous prêter des clés ou des passes qu’il a sûrement en réserve. Nous en trouverons bien une qui fonctionnera ».

C’est ce qu’ils firent. Le père Moreau leur prêta deux énormes trousseaux, avec lesquels ils remontèrent au grenier, anxieux de savoir si leur entreprise serait couronnée de succès.

[Mesure 37 à 54]

Ô miracle : après une longue série de vaines tentatives, désespérant presque, nos trois chercheurs trouvèrent la seule clé qui, à l’aide d’un peu d’huile et de quelques coups de lime, s’avéra capable de révéler le contenu du mystérieux coffret.

Grand-père l’ouvrit avec délicatesse et précaution, mais le couvercle n’était pas plutôt soulevé que Goliard et Nanette se précipitaient ensemble pour explorer son intérieur, ne manquant pas de se cogner, et de donner de la voix pour se le reprocher :

« Aïe ! Tu m’as fait mal, Goliard ! »

« - C’est toi qui m’as fait mal, Nanette ! »

S’ensuivit une vraie petite dispute, jusqu’au moment où Grand-père intervint pour séparer les combattants, et les ramener à la joie d’avoir trouvé une clé pour ouvrir le coffre.

[Mesures 55 à 133]

Goliard et Nanette ne pouvaient clairement pas fouiller le coffre tous les deux ensemble. Mais Goliard, ignorant encore que la galanterie était vouée à disparaître, s’effaça gentiment, pour laisser sa petite grande sœur chercher la première quels « joujoux » renfermait la boîte mystérieuse.

Nanette en profita aussitôt, mais ce ne fut pas sans éprouver une petite angoisse qu’elle se pencha sur le coffre, dont le contenu restait peu visible dans la pénombre du grenier. Un peu de déception aussi, car le dessus du coffre était encombré de vieux papier-journal tout froissé et un peu sale, que Nanette hésita à saisir avec ses menottes toutes propres, afin de voir ce qu’il recouvrait.

Goliard, lui, profitait de sa taille pour regarder par-dessus son épaule, et ne pas laisser à sa sœur tout le bonheur de la découverte.

« Oh, chic ! », s’écria Nanette : « Des vêtements de poupée ! », et elle s’employait déjà à les sortir du coffre, en les jetant de part et d’autre.

Apparut ensuite, à la joie de Goliard, une petite marionnette articulée, qui figurait un gymnaste pirouettant sur son trapèze.

[Mesures 134 à 201]

Nanette n’était pas très grande du haut de ses quatre ans.

Elle était donc obligée de se pencher fortement pour plonger les mains jusqu’au fond du coffre.

Et soudain…, elle disparut, comme aspirée vers le bas par une force invisible.

Goliard n’en croyait pas ses yeux, et se tenait bouche bée, mort d’inquiétude.

Il resta figé quelques instants, puis cria aussi fort qu’il le put pour appeler son grand-père, occupé à explorer les coins du grenier qu’il n’avait pas inspectés la veille.

« Grand-père ! Grand-père ! Nanette a disparu ! »

« - Ce n’est pas possible », repartit ce dernier. « Où veux-tu qu’elle soit passée ? »

Et Goliard entreprit d’expliquer à son grand-père, qui ne voulait rien croire, ce qu’il avait vu, joignant le geste à la parole tant et si bien qu’il finit par disparaître lui aussi à travers le fond du coffre.

[Mesures 202 à 283]

Cette fois, c’est Grand-père qui était perplexe, autant qu’épouvanté par la disparition soudaine de ses deux petits-enfants chéris.

Ayant vu Goliard le quitter par le fond du coffre, il se pencha à son tour, et de plus en plus, en appelant de plus en plus fort : « Goliard ! Goliard ! Nanette !... »

Et ce qui devait arriver arriva : à force de se pencher, Grand-père fut lui aussi aspiré à travers le fond du coffre, même si sa taille et son léger embonpoint rendirent son passage moins rapide que celui de ses petits-enfants…

 

C’est que, vous l’aurez compris, la « boîte à joujoux » était un coffre magique dont le fond n’était en vérité rien d’autre qu’une porte : cette porte ouvrait sur un royaume dont certains habitants, l’ayant découverte, l’avaient passée dans l’autre sens, puis s’étaient efforcés vainement de soulever le couvercle, faisant assez de bruit pour réveiller les enfants qui dormaient à l’étage au-dessous.

Tout s’expliquait donc, mais ni eux ni leur grand-père ne le savaient encore.

Pour l’instant, ils découvraient le royaume dans lequel ils avaient involontairement pénétré : le ROYAUME DES JOUETS.

Rien de plus accueillant que la rue paisible et décorée dans laquelle chacun s’avançait, mais sans voir les deux autres, car ils n’y étaient pas entrés ensemble.

Au milieu de ces habitants pour qui vivre, c’est jouer, tout semblait n’être que sourire et réjouissance.

[Mesures 284 à 384, 1er temps]

La paix du lieu magique fut brusquement troublée par une course-poursuite.

C’est qu’au royaume des jouets, les habitants étaient des jouets, mais ils avaient aussi des jouets, et certains enviaient les jouets des autres : il y avait donc des chapardeurs, et il arrivait qu’un jouet en poursuive un autre parce qu’il lui avait piqué son jouet… Allez comprendre !

C’est ce qui arrivait : une petite fille en porcelaine courait de toutes ses jambes après un petit voyou en chiffons qui lui avait volé son ours en peluche. Elle eut beau le supplier, rien n’y fit ! Il allait plus vite qu’elle. Elle s’essoufflait, tandis qu’il se retournait pour la regarder d’un air triomphant en brandissant son trophée.

Elle finit par abandonner la poursuite, pour s’asseoir dans un coin en pleurant doucement.

[Mesures 384, 3ème temps à 616]

2ème tableau

Grand-père n’avait prêté aucune attention à la course-poursuite.

Ce qui le préoccupait, c’était d’avoir perdu de vue ses petits-enfants.

Ayant interrogé un gros éléphant bleu et un tigre qui semblait avoir son âge, il apprit que Nanette suivait un chemin longeant une rivière – une rivière enchantée évidemment…

Apercevant une belle embarcation de marque Playmobil (dont il n’avait pas eu l’usage au cours de son enfance), il s’en alla sur l’eau à la recherche de sa petite-fille.

C’était le soir. La rivière était calme, traversée de temps à autre par des libellules en papier, et des martins-pêcheurs en laine tressée aux couleurs vives.

Grand-père interrogea les jouets qu’il croisait, avec de plus en plus d’insistance, mais ces derniers, même s’ils lui répondaient avec gentillesse, ne partageaient manifestement pas son souci.

[Mesures 1 à 72]

Ayant renoncé à continuer sur la rivière, Grand-père profita d’un ponton en Lego pour débarquer, et revint sur la terre ferme.

C’est alors qu’il entendit de loin le rythme d’une marche : c’était la Fête nationale au royaume des jouets, et des soldats de plomb défilaient en cadence.

Grand-père, qui l’ignorait évidemment, voulut crier pour les arrêter, et leur demander de l’aider dans sa recherche. Mais les soldats n’avaient pas le droit d’interrompre leur parade : ils poursuivirent leur marche, et Grand-père s’époumona en vain.

Fou d’inquiétude, il se mit alors à courir dans tous les sens et vociférer dans toutes les directions, dans l’espoir d’obtenir quelques nouvelles de Goliard et Nanette. Les jouets qui l’entendaient n’y comprenaient rien, mais personne n’arrivait à le calmer.

[Mesures 73 à 146]

Pendant ce temps, Goliard poursuivait lui aussi sa recherche, très triste et très inquiet d’avoir perdu son grand-père et sa sœur. Au royaume des jouets, il y avait sûrement quelque bonne fée qu’il aurait pu prier, mais Goliard ne le savait pas encore…

[Mesures 147 à 169]

Goliard ne savait pas encore qu’il pouvait s’adresser aux bonnes fées, mais il était déjà assez réfléchi pour se demander où Nanette avait bien pu passer, c’est-à-dire se demander quels étaient les jouets préférés qu’elle avait pu chercher à rejoindre. Il pensa aux poupées, bien sûr, mais il avait entendu dire qu’après tout, les filles pouvaient s’intéresser aux voitures autant que les garçons : allez savoir !

Goliard restait donc dans le doute, et ce doute le rendait très mélancolique, désespérant presque de retrouver son cher grand-père et sa Nanette, qu’il croyait parfois apercevoir au loin, et auxquels il rêvait tristement.

[Mesures 170 à 273]

3ème et 4ème tableaux

Ce que Grand-père et Goliard n’imaginaient pas, c’est que Nanette avait trouvé une occupation qui n’était pas pour lui déplaire.

Les filles peuvent bien aimer les voitures autant que les poupées, mais Nanette, prise dans la féerie du royaume des jouets, était devenue une petite bergère qui s’employait à rentrer ses blancs moutons en allumettes et en coton, avec toutefois au cœur la même pointe de mélancolie que son petit frère et la même pointe d’angoisse que son grand-père.

Nanette essayait de se consoler en écoutant un petit pâtre en bois, et un joueur de vielle-à-roue en carton, jouer leurs sérénades.

Mais celles-ci ne suffisaient pas à l’apaiser, et son petit cœur battait par moments très fort.

[Mesures 1 à 102]

Et voici qu’au milieu de ses pensées tristes, la petite bergère entend son nom crié de loin : « Nanette ! Nanette ! »

C’étaient Grand-père et Goliard, qui par chance s’étaient rejoints près de la ferme, et qui sautaient de joie d’avoir enfin retrouvé leur petite fille préférée.

Ils tombent dans les bras les uns des autres, et se racontent rapidement leur aventure à chacun.

[Mesures 103 à 148]

Il se passa alors quelque chose d’inattendu.

Maintenant qu’ils étaient réunis, Grand-père pensa évidemment qu’il était temps de rentrer à la maison : Grand-mère devait s’inquiéter !

Mais Nanette se trouvait trop bien dans sa nouvelle fonction de bergère, avec des moutons qui, n’étant que des jouets, ne pouvaient pas donner plus de soucis à garder que n’importe quel autre « joujou » de même sorte : au royaume des jouets, Nanette ne pouvait être que la reine !

Aussi protesta-t-elle : « Je ne veux pas rentrer à la maison ! Je suis très bien ici ! Je veux rester ! »

Tant et si bien que Grand-père et Goliard se mirent à la gronder pour la faire changer d’avis.

Grand-père finit même par faire la grosse voix, histoire de convaincre sa petite-fille qu’il ne se plierait pas à sa volonté, avant de se radoucir en voyant que les coins de sa petite bouche s’abaissaient, et que des larmes n’allaient pas tarder à lui monter aux yeux…

[Mesures 149 à 180, 3e temps]

 « Grand-père ! Grand-père ! Réveille-toi ! C’est l’heure de préparer le petit déjeuner de Grand-mère et de le lui apporter au lit ».

[Mesures 180, 4ème temps, à 228]

Grand-père ouvre les yeux, bâille, s’étire, grogne un peu, et se redresse sur son lit.

Apercevant ses petits-enfants, il les embrasse et leur dit : « Alors les enfants : vous avez bien dormi après votre réveil au milieu de la nuit ? Moi aussi, je me suis bien rendormi, jusqu’à maintenant ! ».

« - Mais, Grand-père, nous ne nous sommes pas réveillés ! » disent en chœur Nanette et Goliard.

« - Ah bon ? », s’étonne le grand-père… « Figurez-vous que j’ai fait un rêve extraordinaire, dont vous faisiez partie… Mais venez donc ! Il faut quand même que je vérifie ce qu’il y a dans le coffre à jouets du grenier. Le petit déjeuner de Grand-mère attendra ! D’ailleurs, elle dort encore à poings fermés… »

[Mesures 229 à 246]

 

Michel Nodé-Langlois